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furent là sans doute les différentes considérations qui décidèrent le gouverneur-général à s’arrêter après Vafé ; il ne devait pas retrouver l’occasion perdue. Au bout d’une semaine, apprenant que de nombreuses bandes d’insurgés se concentraient à Askyfo, il se dirigea vers l’est. On put croire un instant qu’il allait aborder Sfakia d’un autre côté, par la route qui passe auprès des ruines de l’ancienne Lappa ; mais, après une vaine démonstration il se replia avec toutes ses troupes sur Rétimo. Quelques jours après, il en ressortait à la tête de 10 ou 12,000 hommes pour aller attaquer le couvent d’Arkadi, situé sur le versant septentrional de l’Ida.

Ce monastère est le plus important et le plus riche de la Crète. Son supérieur ou higoumène porte le titre épiscopal de l’ancienne ville d’Arkadia. L’église, qui est du XVIIe siècle, a toute une façade d’ordre corinthien ; le couvent, comme les autres couvens de Crète, avait tout perdu à la révolution ; diplômes, manuscrits, livres, images anciennes, tout avait été pillé, brûlé, détruit. Ce qui subsistait, c’étaient, tout autour du temple, récemment réparé et assez somptueusement orné, de vastes bâtimens conventuels adossés à un épais mur d’enceinte. Pour ne pas être exposés aux attaques des bandes turques, plusieurs centaines de femmes, d’enfans, de vieillards, s’étaient réfugiés dans ce couvent sous la protection de 200 hommes armés des villages voisins et d’un petit nombre de volontaires hellènes. On comptait, pour surveiller les mouvemens des Turcs, sur le colonel Coronéos, qui occupait avec un corps assez nombreux les hauteurs voisines du plateau d’Arkadi. On n’en fut pas moins, le 19 novembre, sans avoir été averti par Coronéos, attaqué et enveloppé par une division turque qui recevait à chaque instant de nouveaux renforts. Les musulmans sommèrent les défenseurs du couvent de capituler, leur promettant la vie sauve ; mais ceux-ci, au début de la lutte, ne voyaient guère devant eux que les irréguliers, qui, exaspérés par la prolongation de la guerre, ne faisaient point de quartier et n’obéissaient point à leurs chefs. Du côté des chrétiens, surpris à l’improviste, il ne se trouvait personne qui eût autorité pour traiter et pour imposer sa décision à ses compatriotes. On ne répondit donc aux propositions des assaillans que par des cris et par des coups de fusil ; le mur était percé de meurtrières, et toutes les fenêtres étaient garnies de tireurs. La position n’était pourtant pas tenable ; le couvent est dominé par des mamelons où dès le lendemain Moustafa-Pacha installait quelques pièces de siège et quelques mortiers que l’on avait réussi, non sans peine, à conduire jusque sur le plateau d’Arkadi. De nouvelles sommations furent faites aux assiégés ; mais on se fusillait depuis vingt-quatre heures, le feu des défenseurs du couvent avait fait de grands