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froid. Les différens chefs, s’ils s’étaient réunis, auraient pu peut-être arrêter longtemps les Turcs à Lakkos et à Zourva ; mais les renforts demandés par Zyinbrakakis n’arrivèrent pas à temps, les cartouches manquèrent, et avant la fin de décembre les insurgés se replièrent sur l’Omalo. Les Turcs avaient commis la faute de brûler les villages de la Rhiza ; il leur fallut rester là, campés sous le vent, la neige, la pluie, autour de feux qu’éteignait sans cesse la bise âpre et glacée. La plupart des Crétois retournèrent dans leurs villages ; ceux dont les maisons étaient détruites ou occupées par les Turcs s’établirent à l’Omalo dans les huttes qui servent d’abri pendant les semailles et la moisson aux gens de Sélino, de Sfakia ou de la Rhiza, auxquels appartiennent ces maigres et froides terres.

C’était à ce moment qu’un officier de la marine royale d’Angleterre, le capitaine Peem, entrait dans une voie où ne devait pas le suivre le gouvernement anglais. Cédant à un mouvement de pitié, il chargeait à son bord un certain nombre de femmes et d’enfans qu’il avait trouvés à demi morts de faim et de froid, errans sur les plages de Sélino, où les croiseurs turcs leur envoyaient de temps à autre des volées de mitraille. La canonnière l’Assurance débarqua le 15 décembre ces malheureux au Pirée ; aussitôt l’officier anglais et son équipage furent à Athènes l’objet d’une ovation populaire ; le roi de Grèce, s’associant à propos aux sentimens de ses sujets, envoya son ministre des affaires étrangères remercier le ministre anglais, M. Erskine. Celui-ci ne dut pas être médiocrement embarrassé de ces remercîmens. Lord Stanley en effet n’a point cessé de refuser son concours à toutes les mesures qui pouvaient conduire à un démembrement partiel de l’empire ; or pouvait-on rendre aux insurgés un plus grand service que de les débarrasser de toutes ces bouches inutiles ? Combien ces hardis montagnards se sentiraient plus libres de leurs mouvemens quand ils sauraient leurs femmes et leurs enfans en sûreté ! L’exemple donné par la marine anglaise était bientôt après suivi par la marine russe ; malgré les protestations du pacha, un vaisseau, le Grand-Amiral, allait embarquer sur la côte méridionale plus de 1,200 personnes.

Quelques jours après, Moustafa, voyant les forces de l’insurrection concentrées à Sfakia, résolut de lui porter le coup décisif qu’il aurait pu frapper après Vafé ; il vint débarquer avec quelques milliers d’hommes à Haghia-Roumili, petit village situé à l’entrée de la vallée de Samaria. Aussitôt après son arrivée, il recevait la soumission de plusieurs centaines de volontaires grecs, italiens, hongrois. Beaucoup de ces hommes, désappointés, mécontens, harassés, saisirent avec empressement l’occasion de quitter l’île que leur offrit l’adroite clémence du pacha. Un vaisseau turc et un aviso français,