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province qui s’étend à l’ouest du bassin du Gange, entre le Sutledj et l’Indus. Les Sikhs, qui y dominent, professent une sorte de religion éclectique où les idées des Vêdas et les doctrines de Mahomet se confondent en s’épurant. C’est une race de fanatiques cruels et orgueilleux. Un rajah énergique et intelligent, Rundjet-Singh, eut le talent de s’imposer à eux et de se faire respecter pendant plus de quarante ans aussi bien par la compagnie des Indes que par ses autres voisins. Il fut le dernier souverain de l’Asie qui ait conservé des Français à la tête de ses armées. Les gouverneurs-généraux de l’Inde anglaise en étaient venus à le considérer comme le plus ferme boulevard que l’on pût opposer vers l’ouest à l’invasion des idées musulmanes, dont les souverains de Caboul étaient alors les représentans inquiets et redoutés. Cependant ce rajah n’avait point su créer un gouvernement durable. Semblable aux avares qui entassent des trésors sans songer à l’usage qu’en feront leurs héritiers, Rundjet-Singh, « le lion de Lahore, » établit pour lui-même un pouvoir fort et redouté, et n’eut aucun souci de se préparer des successeurs. Lorsqu’il mourut en 1839, le Pendjab fut en proie à la plus déplorable anarchie. Les fils du rajah défunt s’entr’égorgèrent ; puis, quand il ne resta plus d’autre prétendant légitime, un enfant fut mis sur le trône. Au milieu de ces troubles, l’armée, dressée à la française par d’anciens officiers du premier empire, flattée tour à tour par les partis qui se disputaient le pouvoir, acquit la prépondérance. Elle voulait faire la guerre à tout prix. Dans une heure d’ivresse, elle ne craignit pas de s’attaquer à la puissance britannique.

Lorsque Henry Lawrence rejoignit le camp du gouverneur-général, les Anglais venaient de gagner la douteuse victoire de Ferozeshure. Il assistait peu de jours après à la bataille plus décisive de Sobraon, qui mit l’empire de Rundjet-Singh entre les mains de lord Hardinge. Bien des gens pensaient alors que l’occasion était belle d’annexer le Pendjab aux domaines de la compagnie. D’autres, moins ambitieux, combattirent cette opinion, persuadés qu’il était sage de conserver les royautés indigènes. Le jeune maharajah fut en effet proclamé de nouveau souverain du Pendjab. Un conseil de régence, composé de sept principaux chefs sikhs, fut placé sous le contrôle et la direction d’un résident. Le pouvoir du résident devait s’étendre à tout sans exception. Il avait une autorité sans limites sur l’administration intérieure de même que sur les affaires extérieures ; Henry Lawrence fut appelé à ces importantes fonctions. C’était à peu près comme s’il avait été investi du pouvoir royal sur une nation de 5 millions d’âmes. Il était entouré d’un nombreux état-major d’officiers jeunes et intelligens qu’il enflammait de son