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a abondé, et avec quel emportement ! Au lieu de 5 ou 10 pour 100, chiffre des premiers débuts, de 20 pour 100, taux réglementaire porté à 25 pour 100 dans les plus mauvais jours, le tout mitigé par certaines tolérances, on en est arrivé aujourd’hui à établir des droits de 50 et 55 pour 100 sur la plupart des tissus, et de 70 pour 100 sur les soieries, droits perçus très rigoureusement. En aucun temps, les matières premières n’avaient été imposées, et moins que d’autres celles qui proviennent du sol américain ; l’immunité ici n’était pas seulement commandée par les principes, elle l’était encore par les intérêts de la colonisation rurale. Ce scrupule a cédé, on ne saurait dire devant quel goût de revanche ; le coton avait été frappé naguère d’un droit de sortie, et, pour en obtenir le rappel, il n’a pas fallu moins qu’une longue clameur partie des états où végètent les nouveaux affranchis. Ainsi une épidémie de fiscalité sévit sur ce littoral, naguère si hospitalier, sans qu’on puisse dire où ses ravages s’arrêteront.

A quel sentiment obéit le parti républicain dans ces violences exercées sur le génie et la richesse de la nation ? Ce serait une étude délicate et qui mettrait à nu quelques infirmités du cœur humain. La mauvaise humeur y joue visiblement un rôle. Ce que l’Amérique ne peut pas convertir en hostilités ouvertes, elle le traduit par des picoteries où elle ne craint pas de se blesser, pourvu qu’elle blesse autrui. Elle n’a pu s’accoutumer encore à la perte de cette marine commerciale qui faisait son orgueil, et que deux ou trois corsaires ont balayée de la surface des mers sans qu’elle pût lui prêter main-forte. Sa rancune s’en prend à l’Europe, et voudrait donner une consistance quelconque à cette responsabilité. De là des actes diplomatiques et des procès civils, de là aussi ces tarifs constamment surélevés, qui ferment l’accès des marchés américains quand ils ne les jonchent pas de ruines. C’est de propos délibéré qu’on agit ainsi, le parti républicain ne s’en cache pas, et M. Carey le déclare formellement. Il s’indigne qu’il existe dans l’étroit espace qu’occupe le royaume-uni un tel foyer d’industrie que toutes les nations du globe soient contraintes de lui payer tribut ; il voudrait en affranchir l’Amérique, et convie les manufactures régnicoles à s’associer dans un vaillant effort à cet acte de délivrance. Pour cela, il suffirait de s’emparer, à l’aide des tarifs, de la jouissance exclusive des débouchés nationaux. A la bonne heure, voilà au moins un mot significatif ; c’est montrer, comme on dit en langage familier, le bout de l’oreille. Malheureusement le produit de ces tarifs est aliéné déjà ; il a une destination, l’amortissement de la dette, que le gouvernement fédéral semble vouloir conduire à fin coûte que coûte et avec une précipitation maladive. Dès lors il s’agit non plus d’exclure,