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« un homme dont chaque geste est une leçon dans ce plus haut des arts sociaux. » — « Lorsque nous sommes dans une cité orientale, dit M. Dixon, même dans un désert d’Orient, cette question se présente perpétuellement sur nos lèvres : qui a appris à ce muletier là-bas à s’incliner et à sourire ? qui a donné avec une pareille plénitude cette grâce à ce cheik à la peau tannée ? Une dame qui entre dans un camp arabe pour y passer la nuit ne ressentira aucune crainte, à moins qu’elle ne soit avertie par quelque expérience antérieure, car le cheik sous la tente duquel elle se trouve possède dans une perfection rarement rencontrée ce don de la démarche et du discours que dans notre Occident nous cherchons seulement, sans l’y trouver toujours, parmi les hommes du plus haut rang. Comment le Bédouin acquiert-il ce don princier ? Il ne le tire pas de sa richesse et de sa puissance, une bande de chèvres, un troupeau de moutons, sont ses seuls biens ; il ne le tire pas de ses efforts d’esprit, il peut à peine lire et écrire. Le cheik qui inspire cette confiance, loin d’être un prince, un prêtre, obligé par nature et par condition à agir droitement, peut être un voleur, un proscrit, un assassin, et porter les traces du feu et la tâche du sang sur cette main qu’il agite avec une grâce enchanteresse. Cependant il a l’air d’un prince. Tous les Orientaux ont ce charme sans nom. Un paysan syrien vous reçoit dans sa hutte de pierre, fait son signe de croix et émet le souhait que la paix soit avec vous avec des formes auxquelles un calife n’aurait rien à ajouter. » À ce singulier phénomène, M. Dixon donne la singulière explication que voici. En tout pays du monde, le degré de liberté peut être mesuré par le degré d’imperfection des manières. De mauvaises manières sont une conséquence nécessaire de la liberté. Là où fleurit le despotisme fleurit aussi la politesse, là où fleurit la liberté foisonnent l’insolence, l’arrogance et la brutalité. Voyez les hommes de très grand génie ou de très grand caractère, ils se distinguent rarement par ces dons de la politesse et de la grâce. Il en est des peuples comme des individus, ils sont polis tant qu’ils sont esclaves ; faites qu’ils se redressent, et du jour au lendemain ils vont oublier leurs manières. La France depuis la révolution a perdu sa réputation pour les saluts et les sourires. « Un Souabe est moins poli à Omaha qu’à Augsbourg, un homme du Munster à Baltimore qu’à Cork. Fritz ne vous dira pas bonsoir sur les bords du lac Érié, Pat ne vous tirera pas son chapeau à New-York. » Est-ce un bien ? est-ce un mal ? M. Dixon conclut que c’est un petit mal pour un grand bien.

J’ai choisi cet exemple tout exprès parce qu’il montre fort bien ce qu’il y a de subtil et en même temps d’incomplet dans la manière de raisonner qui est propre à M. Dixon. Aussi vraie que soit son explication, elle ne saisit cependant qu’une des causes du