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et, à prendre les choses sous leur plus large aspect, de telle génération, mais de cette solidarité autrement grande et belle qui fait dépendre les générations vivantes de celles qui les ont précédées et les oblige envers celles qui les suivront. Si chaque génération devait vivre pour elle-même, la chaîne morale qui unit l’humanité serait à chaque instant brisée. Vouloir conserver sa beauté est un désir bien légitime ; mais il y a quelque chose d’enfantin à se soustraire à d’austères devoirs pour prolonger de quelques minutes ces dons qu’on ne peut faire éternels, ce qui serait la seule excuse de l’égoïsme. Si tel est vraiment l’état des choses, nous souhaitons que quelque austère ministre de la Nouvelle-Angleterre écrive et répande à profusion un petit tract sur ce sujet, avec ces paroles de l’Hotspur de Shakspeare à l’heure de sa mort : « mais la pensée est l’esclave de la vie, et la vie est le fou du temps, et le temps qui promène son regard sur le monde entier s’arrêtera lui-même un jour. » C’en est assez sur ce scabreux sujet. S’il faut en croire M. Dixon, les conséquences de ce sentiment de personnalité, si bien d’accord d’ailleurs, envisagé à un autre point de vue, avec les principes sur lesquels repose la société américaine, seraient déjà des plus graves dans les états de la Nouvelle-Angleterre, c’est-à-dire parmi la plus pure race indigène. Une chose curieuse, c’est que les états où l’on se marie le plus sont ceux où les naissances sont le moins nombreuses. Les jeunes filles de la Nouvelle-Angleterre se marient, mais ne deviennent pas souvent mères. Les gens de l’ouest restent fréquemment célibataires, mais ceux qui se marient ont des régimens d’enfans. Il en résulte une décroissance marquée de l’ancienne race anglaise, en qui réside la tradition nationale, et par suite, dans un temps donné, il en résultera le transfert de la puissance sociale d’une race à une autre, à la race irlandaise ou allemande par exemple. « Sous la constitution des États-Unis, le nombre est la force, c’est le nombre qui fait les lois, le nombre qui paie les taxes, le nombre qui par ses votes dispose de la terre. La puissance est avec la majorité, et la majorité au Massachusetts passe aux pauvres irlandais, aux cercles fenians et aux Molly Maguires. À présent la proportion des étrangers n’est que de un sur cinq ; mais les enfans de cette minorité étrangère dépassant ceux de la majorité native, ces proportions sont en train de changer chaque année. Dans vingt ans, ces enfans étrangers seront la majorité au Massachusetts. »


III.

Cette question des rapports et des droits réciproques des sexes est peut-être la plus importante qui s’agite aux États-Unis, et l’on ne