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témoins. La plupart de ces personnes parlèrent de ses bonnes actions, deux ou trois insinuèrent que, malgré tous ses défauts, Sidney était un homme de génie, un vrai saint, un honneur pour Oneida ; mais la balance des témoignages fut décidément contre l’accusé. » L’accusé n’a jamais le droit de réplique. Lorsqu’il a été soumis à cette enquête, il doit se retirer dans sa chambre, passer son examen de conscience, et s’il a quelque chose à dire pour sa défense, ou s’il reconnaît qu’il doit faire acte d’humilité, il écrit une lettre adressée à la communauté entière, qui est lue publiquement. Voilà bien des précautions ; mais il en est une dernière plus efficace que toutes les autres. M. Dixon remarqua que, dans l’enquête faite sur la conduite de Sidney Joslyn, les femmes qui l’avaient accusé étaient toutes d’un âge respectable, mais que nulle jeune femme n’avait porté témoignage contre lui. Était-ce par hasard qu’il était aimé de toutes les jeunes femmes ? Eh non ! c’est qu’en vertu des coutumes de la communauté elles ne pouvaient rien savoir de lui. Les unions entre personnes du même âge sont rarement autorisées, étant considérées comme trop sensuelles. Dans un résumé de sa doctrine écrit pour M. Dixon, Noyes s’exprime ainsi : « On regarde comme meilleur pour les jeunes gens des deux sexes de s’associer en amour avec des personnes plus âgées, et, si c’est possible, avec celles qui sont arrivées à la vie spirituelle et qui ont été quelque temps à l’école de la contrainte personnelle. » On évite les passions trop charnelles, on évite aussi celles qui menaceraient d’être trop profondes, de dévouer trop exclusivement deux êtres humains l’un à l’autre, cet amour idolâtre ayant pour résultat de détourner les pensées des amans des intérêts généraux de la communauté. Ce sont donc les vieilles dames à qui revient l’amour des jeunes gens, et les hommes d’un âge mûr qui ont commerce avec les jeunes femmes. Voilà le mystère de cette discipline expliqué. Il est clair que, si les jeunes femmes n’ont le choix qu’entre les hommes mûrs, elles doivent éprouver difficilement la tentation de changer, et que, si les jeunes gens sont dévolus aux vieilles dames, ils doivent être sérieusement tenus en bride. La meilleure définition du genre de passion qui doit régner à Oneida Creek se trouve dans ces paroles que l’elder Frederick (le supérieur de la communauté des shakers de Mount-Lebanon) adressait à M. Dixon, car, pour percer les mystères d’une secte ou d’une communauté, il n’est personne de comparable aux chefs d’une secte ou d’une communauté rivale. « Il faut vous attendre à voir ces familles bibliques s’accroître rapidement : elles remplissent les désirs de beaucoup d’hommes et de femmes de ce pays, d’hommes qui sont fatigués, de femmes qui sont fantasques ; elles donnent, sous le nom de religion, une libre rêne aux passions avec un profond sentiment de repos. Les femmes y trouvent un