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entrer dans le troupeau comme cinquième ou quinzième épouse ; les jeunes, étant de vrais saints, n’ont pas voulu promettre de s’en tenir à leurs premiers vœux, et en conséquence elle a refusé les uns et les autres. Toutes ces filles aiment mieux rester seules, mener une vie de travail et de dépendance, comme servantes, femmes de chambre, couturières, femmes de ménage, que de mener une vie d’aisance et de loisir relatifs dans un harem mormon….. Je ne puis m’étonner que des filles qui se rappellent leurs foyers anglais reculent devant le mariage dans cette étrange société, même quand elles ont accepté la doctrine de Young, que la pluralité des femmes est la loi de Dieu et du ciel. « Je crois que c’est vrai, me disait une demoiselle anglaise toute rose qui est depuis trois ans à Utah, et je crois que c’est bon pour celles qui l’aiment ; mais ce n’est pas bon pour moi, et je m’y refuse. — Mais si Young vous commandait ? — Il ne le peut pas, dit la jeune fille en secouant ses boucles dorées, et, s’il le faisait, je n’obéirais pas. Une fille a le droit de se marier ou non, selon qu’il lui plaît, et moi, pour ma part, je n’entrerai jamais dans une maison où il y aura une autre femme. — Est-ce que les femmes ont de la répugnance à cela ? — Quelques-unes, non, la plupart, oui. Elles acceptent la chose comme faisant partie de leur religion, mais je ne puis dire que cela plaise à aucune. Quelques femmes vivent en très bonne intelligence, pas beaucoup ; la plupart ont leurs piques et leurs querelles, quoique leurs maris n’en sachent rien. Nulle femme n’aime à voir une nouvelle épouse entrer dans la maison. »


Une publication bien connue d’un des membres féminins de la société mormonne, Belinda Pratt, avait fait croire que les épouses d’Utah avaient accepté avec la meilleure grâce du monde le rôle de Sara à l’égard d’Abraham et de Lia à l’égard de Jacob ; M. Dixon dément formellement cette assertion. « Je n’ai jamais trouvé une seule femme qui consentît à avouer pareille chose, même en présence de son mari, nous dit-il. Faire la cour à une nouvelle femme pour lui, me disait une dame, pas une femme ne ferait cela, et pas une femme ne consentirait à être courtisée par une autre femme. »

Mais que l’expérience plaise ou non à celles qui s’y sont soumises, il est trop tard maintenant, et la polygamie règne à Utah sur la plus vaste échelle. Par leur opinion sur ce sujet du mariage, les mormons se distinguent radicalement non-seulement de toutes les églises chrétiennes, mais encore de toutes les religions présentes et passées, même de celles qui admettent la polygamie. La virginité et le célibat ont été honorés dans toutes les religions ; en tout cas, il n’en est aucune qui ait considéré le mariage comme nécessaire à la perfection ; pour le mormon au contraire, un homme n’atteint que par le mariage à la perfection. Rester célibataire est le signe d’un cœur non régénéré, une disgrâce. Conséquence iné-