Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 75.djvu/313

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

méthode cruelle contre laquelle protestent des grognemens épouvantables. Les ventes sont échelonnées, selon les espèces d’animaux, entre onze heures et deux heures. Les marchands de bestiaux sont très flâneurs ; ils vont, ils viennent, ils causent d’affaires indifférentes tout en guignant de l’œil les animaux qu’ils convoitent, ils se rendent au café, en sortent, y rentrent, sifflotent entre leurs dents d’un air désintéressé, et laissent croire par leurs allures qu’ils sont peu décidés à traiter. Il se passe ainsi, sans pourparlers actifs, une heure, deux heures et plus ; mais le temps marche, la cloche qui donne le signal de la fermeture réglementaire du marché va bientôt sonner, il ne reste plus qu’un quart d’heure. Tout change alors : une sorte de fièvre semble avoir saisi chacun de ces promeneurs si tranquilles il n’y a qu’un instant ; en quelques minutes, toutes les transactions sont proposées, acceptées, conclues ; on se frappe dans la main, et il n’y a plus à s’en dédire. Les conducteurs arrivent, suivis de leurs grands chiens, si intelligens, si prévoyans, si rapides ; les différens lots de bestiaux sont séparés et dirigés vers la bouverie, vers l’abattoir, vers la barrière, selon la destination à laquelle on les réserve. Les chiens les escortent, l’œil au guet, rassemblant le troupeau, se jetant au fanon des bœufs qui vont trop vite, mordant les jambes de ceux qui vont trop lentement, les défendant de tout, même d’un choc de voiture. Le marché se vide peu à peu, devient désert, on n’entend plus que quelques mugissemens lointains qui se confondent avec les bruits de la grande ville ; les halles semblent des solitudes mornes et désertes ; des hommes viennent alors, on commence le balayage, et l’on recueille le précieux engrais que laissent après elles ces longues troupes d’animaux.

Les bestiaux arrivés en 1867 à destination de Paris, tant sur les anciens marchés qu’au marché central, forment des troupeaux près desquels ceux qu’Ulysse admirait dans l’île de Trinacria méritent à peine d’être mentionnés : — 341,253 bœufs, vaches et taureaux, 219,641 veaux, 209,615 porcs, 1,707,266 moutons. Le total représente 2,477,775 animaux vendus et destinés à notre nourriture. On pourrait croire qu’il y a parfois une abondance extraordinaire de bestiaux, puis un ralentissement successif, par conséquent une sorte de disette, car, si la consommation est incessante, la production est limitée. Par suite d’usages locaux, d’habitudes anciennes dont on retrouve déjà la trace au moyen âge, les provinces nourricières semblent s’être donné le mot pour n’arriver qu’à tour de rôle sur notre marché. La Normandie nous envoie ses bœufs de juin à janvier, le Maine-et-Loire d’octobre à mars, le Nivernais, le Charolais, le Bourbonnais, de mars à juin, le Limousin, la Charente, la Dordogne, de novembre à juin. Il en est de même pour les mou-