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devenu Deadly Dash. Mon ami au contraire, servi par des hasards tout à fait exceptionnels, avait vu se dénouer cette carrière étrange. Il me conta les choses par le menu, et je voudrais les redire comme il me les conta, — moins les vous comprenez, hein ?...vous savez, mon cher... et autres appels à ma perspicacité naturelle, dont ce récit fut, pour mon goût particulier, trop fréquemment émaillé.


I.

Quel tireur que ce Deadly Dash ! commença mon ami, qui lui-même se pique à bon droit de savoir loger une balle, et dont la carabine est célèbre parmi les habitués de Hornsey-Wood-House[1]. Surnom terrible, n’est-il pas vrai? mais qui exerçait une fascination plus terrible encore. Je me souviens de l’effet qu’il produisait sur moi et sur bien d’autres quand, tout novice encore, j’allai rejoindre le vieux 7e de dragons, où vous savez que j’ai débuté. Dans un double sens, ce menaçant sobriquet trouvait, au dire de tous, son application. — Une main du diable, il tue tout ce qu’il touche, disait-on du personnage qu’il désignait. La fatalité l’accompagne. Dans un duel (le duel n’était point encore aussi démodé qu’à présent), vous le voyez armer à loisir, avec une indifférence suprême; à peine se donne-t-il la fatigue de lever son pistolet au niveau de l’œil, et le coup porte en pleine poitrine, en plein front, exactement comme il l’a voulu. — S’agissait-il d’une intrigue, même sang-froid, même indifférence apparente, même invariable succès, accepté avec le même dédain. Je l’ai vu, moi qui vous parle, disputer six mois durant au plus brillant de nos camarades les préférences d’une belle dame. Le jour où il la vit franchement décidée en sa faveur, il exigea d’elle un congé public donné à son rival, et quand elle lui eut fait ce sacrifice éclatant, nous le vîmes avec stupéfaction saisir à l’improviste la main de l’une, la main de l’autre, et les joindre par un geste solennel en leur disant : — Allez, mes enfans, je vous bénis. — Puis il tourna tranquillement sur ses talons, et tout fut dit... Tout fut dit, sauf que le lendemain, appelé par l’officier victime de cette espèce de guet-apens, il le coucha galamment sur le terrain.

— Mort? interrompis-je.

— Aussi mort que Bayard lui-même. Généralement parlant, Deadly Dash ne blessait guère, ayant horreur des coups manques, et professant au contraire pour la vie humaine un mépris des plus

  1. Tir bien connu des sportsmen.