Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 75.djvu/345

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Lui-même en butte à de cruelles souffrances, il n’en témoignait pas moins une vive sympathie pour celles que j’éprouvais, et, laissant de côté les soucis de sa propre situation, il cherchait avec ardeur à combiner tous les argumens qui pouvaient servir à légitimer mon imprudente conduite. J’étais, selon lui, un simple touriste mêlé à la guerre civile par pur accident, sans préméditation quelconque. En même temps il s’informait de ma carrière, de ses anciens camarades, et ne cessait de se montrer communicatif que lorsque je voulais l’entretenir de lui-même. Il me raconta simplement qu’il était entré au service des confédérés dès le début de la guerre civile, et je crus remarquer qu’il désespérait maintenant de leur cause. Ce découragement, cet abattement profond, cette tristesse poignante, était-ce simplement le résultat de la défaite qu’il venait de subir? Je fus tenté de le croire en songeant à ce que devait être pour un si vaillant soldat la perspective d’une longue captivité. Néanmoins cette mélancolie avait de quoi me surprendre, moi qui connaissais le personnage.

Je remarquai avec non moins d’étonnement que de temps à autre, tandis qu’il se tenait à mes côtés, causant à voix basse, — car on avait posé des sentinelles à l’intérieur comme à l’extérieur de l’espèce de métairie qui nous servait de prison, ses regards errans se portaient avec une expression toute particulière sur l’intrépide Virginien tombé le jour même à ses côtés, et qui, poudreux et sanglant comme lui, le bras gauche cassé, gisait à l’autre extrémité de la pièce. Sous ses longues moustaches noires, le malheureux jeune homme dissimulait tant bien que mal le frémissement de ses lèvres, crispées par la souffrance. J’ai vu bien souvent, à l’hôpital ou sur le champ de bataille, les affres de l’agonie, jamais une torture comme celle qu’accusait la physionomie de ce pauvre garçon. Les autres prisonniers confédérés, quoique gens du commun, faisaient bonne contenance, et pas un ne laissait échapper des plaintes que personne au surplus n’aurait écoutées; mais ce magnifique Virginien, véritable Antinoüs de sa race, m’inspirait un réel intérêt, et, avec cette inquiète curiosité qui s’attache dans un état d’extrême faiblesse aux circonstances les plus insignifiantes, je demandai son nom au « tueur, » dont le regard, ainsi que je l’ai dit, se dirigeait volontiers vers ce compagnon de notre captivité.

— Stuart Lane, répondit-il laconiquement, et sans ajouter un mot de plus, mais avec quelle expression de haine contenue! avec quel accent de malveillance infernale! Jamais vous n’avez surpris dans une parole aussi simple tant d’animosité concentrée et comme vibrante; jamais non plus vous n’avez vu coup d’œil aussi chargé de malédictions que celui de mon ancien camarade au moment où,