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toute religion. D’ailleurs on a souvent prédit au protestantisme depuis son origine sa prochaine dissolution, tandis qu’au contraire les faits et l’expérience ont constaté ses progrès et les progrès des sociétés animées de sa foi; l’on doit se défier d’une prophétie si souvent répétée et si peu vérifiée, au moins jusqu’ici. Le christianisme a justement prouvé sa supériorité sur toutes les religions de l’univers par sa facilité à s’assouplir à tous les états d’esprit, à tous les états de société. Le catholicisme lui-même, quoi qu’en disent ses adversaires prévenus, a montré dans l’histoire une assez grande flexibilité, car il a pu s’accommoder en même temps au moyen âge et au XVIIe siècle, à la foi naïve d’une société ignorante et à la foi savante de la société la plus raffinée. Le christianisme a prouvé la même souplesse en devenant protestantisme. Qui sait s’il n’est pas appelé encore à prendre une troisième forme, et à résoudre le problème religieux de l’avenir par une dernière métamorphose?

On objecte contre une religion sans surnaturel qu’elle n’est autre chose qu’une philosophie, et que la philosophie est hors d’état de fonder une religion; mais on confond ici bien des choses distinctes. La philosophie, considérée à un certain point de vue, est une science qui, comme toute science, procède par analyse, raisonnement, démonstration, dont les conclusions sont toujours subordonnées à la solidité de la méthode qui nous les fournit, qui est obligée de donner beaucoup à la dialectique, c’est-à-dire à la discussion du pour et du contre, qui est en un mot essentiellement rationnelle. Que la philosophie, considérée ainsi, soit hors d’état de fonder une religion et n’ait rien d’analogue à la religion, nous l’accordons sans hésiter. La religion est un fait humain, un acte primitif de la raison et du cœur, qui naît spontanément et qui s’organise spontanément, tout comme la société, la famille, l’art, le langage. Vouloir créer artificiellement une religion est aussi impossible que de créer artificiellement une langue, une société, une épopée. L’erreur des philosophes modernes, théophilanthropes, saint-simoniens, positivistes, qui ont tous voulu soit organiser la religion naturelle, soit organiser des religions panthéistes et humanitaires sur le type du catholicisme, est tout à fait semblable à l’illusion des utopistes qui voudraient créer a priori' une société absolument nouvelle, ou à l’illusion des savans qui veulent composer une langue universelle. Voilà ce qu’il y a de vrai dans l’opinion généralement reçue, que la philosophie ne peut pas fonder une religion.

Si la philosophie ne peut devenir une religion, il n’est nullement contraire à la nature des choses qu’une religion devienne une phi-