Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 75.djvu/423

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ment Polonais, ou du moins ils en diffèrent sous certains rapports; mais ils sont unis aux Polonais depuis cinq siècles, ils ont donné des rois à la Pologne, ils ont vécu avec elle d’une vie commune. Par quel lien se rattachent-ils à l’empire des tsars? Est-ce par un lien politique? Ils n’ont jamais été politiquement incorporés à la Russie. Est-ce par la religion? Ils sont catholiques du rite grec-uni. Est-ce par la langue? Ils ont un dialecte qui n’est ni russe ni polonais. Ils ne tiennent à la Russie ni par la religion, ni par la langue, ni par les traditions, ni par les habitudes morales, et cependant la Russie les revendique par cette raison inavouée et devenue maintenant plus pressante que la conquête violente a son inexorable logique, qu’après avoir essayé de détruire toute. trace d’indépendance ou de civilisation polonaise dans le royaume comme dans la Lithuanie elle ne peut laisser subsister à ses portes un foyer polonais. La guerre qu’elle fait à l’Autriche en Galicie au nom de la nationalité ruthène est la conséquence du système qu’elle suit depuis cinq ans particulièrement, et ici éclate un de ces faits qui sont toujours le lumineux enseignement, la saisissante moralité de l’histoire. Je montrais tout à l’heure comment de nos propres mains, par nos œuvres, par notre politique dans les affaires américaines, par notre triste expédition du Mexique, nous avons nous-mêmes noué l’alliance de la Russie et des États-Unis. Ici c’est l’Autriche elle-même qui a frayé à la Russie le chemin où elle peut assurément aujourd’hui courir des dangers.

Lorsqu’il y a vingt-deux ans l’Autriche se trouvait en face de cette insurrection polonaise qu’elle noya dans des flots de sang par ce qu’on a appelé les massacres de la Galicie, et qui finit par la disparition de la petite république de Cracovie, elle obéit à une de ces inspirations que M. de Metternich croyait un trait de génie, et qui consistait tout simplement à diviser les races diverses de l’empire pour les mieux contenir. Elle eut l’idée d’opposer non-seulement les pauvres aux gentilshommes, mais les Slaves-Ruthènes aux Slaves-Polonais; elle crut avoir merveilleusement assuré sa puissance en développant chez les Ruthènes des goûts d’autonomie, en stimulant le réveil d’une nationalité assez factice à laquelle elle ne croyait guère, mais dont elle pensait se servir comme d’un moyen politique pour tenir en respect les Polonais. Le clergé grec-uni se prêta en partie à cette combinaison, qui lui livrait l’influence exclusive sur les masses, et cette nationalité nouvelle remise en honneur par la bureaucratie allemande fut déclarée la plus fidèle de l’empire.

Ce qui n’était qu’un expédient pour la politique autrichienne, c’est justement ce qui a conduit à la situation actuelle, en favori-