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dans la haine du Turc, dans la passion de l’affranchissement. Or en présence de ce travail d’ébranlement, de cette recrudescence d’agitation, quelle est la politique de la Russie ? C’est la politique d’une puissance ramenée devant son vrai champ de bataille, restant l’œil fixé tout à la fois sur l’Europe et sur l’Orient, et se tenant prête à saisir l’occasion, qu’elle est maîtresse de faire naître quand elle voudra.

Il y a deux choses dans la politique de la Russie en Orient, il y a une action personnelle, directe, permanente, inavouée, et il y a une action diplomatique. Que la politique russe ait un rôle direct dans cette crise comme dans toutes les crises de l’Orient par une propagande incessante, redoublée, ce n’est point douteux. Je ne parle pas seulement de cette sympathie d’opinion qui se traduit maintenant dans les bruyantes polémiques de la presse, des manifestations, des souscriptions qui se reproduisent si souvent et qui avaient lieu particulièrement au début de l’insurrection crétoise, qui s’organisaient publiquement dans les cercles de Saint-Pétersbourg et de Moscou pour venir en aide aux insurgés. Il y a évidemment dans les provinces mêmes de la Turquie un travail constant d’enrôlement et de propagande. La Russie est partout présente, partout elle a des agens et des clientèles toutes locales. Elle apparaît comme la grande protectrice, comme la grande libératrice prête à fournir des armes ou à donner de l’argent. Elle agit par la séduction, par l’intimidation ou par le prosélytisme, aidant à fonder des églises ou des écoles grecques, répandant les livres russes, prenant d’ailleurs tous les masques et flattant au besoin les Bulgares dans leur désir d’une nationalité distincte pour mieux s’emparer d’eux. Je lisais récemment dans une brochure écrite par un Bulgare : « Les livres et les images portant des inscriptions qui annoncent que ce sont des cadeaux du tsar aux chrétiens de la Bulgarie, les prières pour le tsar qui se trouvent dans les livres pieux provenant de la Russie, tout cela est répandu dans les villes et les villages bulgares pour cultiver dans l’esprit du vulgaire la conviction d’une union intime entre la cause de la Russie et celle de la foi orthodoxe. Ce sont des prêtres grecs qui se chargent du rôle de proxénètes entre le rêve ambitieux de la Russie et la conscience du peuple bulgare… »

La Russie ne néglige d’ailleurs aucun moyen pour accoutumer ces populations à l’idée de sa puissance et de son autorité, pour faire même acte de présence. L’été dernier, elle avait organisé une mission, toute scientifique en apparence, destinée à aller relever jusqu’en Turquie des points géographiques, des méridiens et des parallèles. Cette mission avait pour chef le général Robrikof et se