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métaphysiques. Souvent c’est la facilité même de leur esprit et leur habileté d’écrivain qui leur font perdre tout caractère propre; ce sont leurs demi-succès qui les empêchent de parvenir au succès véritable.

Nous croyons que M. Robert Lytton, auteur des Chroniques et Portraits, se place naturellement entre les deux dernières des classes de poètes que nous venons d’indiquer. Il appartient à la seconde par la souplesse et par l’élasticité de son talent; mais, faute d’avoir été assez lui-même, il n’a pas atteint à la puissance. Il étonne et il plaît, il ne frappe pas assez l’esprit; il laisse peu de ces impressions profondes et qui durent. Un excellent poète peut n’être pas toujours le même; il peut dérouter ses lecteurs, mais à la condition de ne ressembler qu’à lui. M. Robert Lytton touche à l’a troisième classe dont nous avons parlé par son goût pour les évolutions les plus diverses. Avec une ambition qui s’appuie sur les dons les plus heureux, il est de ceux qui pensent que, les limites des genres disparaissant, les limites du domaine personnel des poètes doivent aussi disparaître. Agé de trente-sept ans à peine et poursuivant activement la carrière diplomatique, il en est à son septième recueil. Une évolution nouvelle marque chacun de ses écrits, qu’il publiait jusqu’ici avec le pseudonyme d’Owen Meredith[1]. Tour à tour il a donné une tragédie grecque, Clytœmnestra, une série de poésies cosmopolites, the Wanderer, un roman byronien en vers, Lucile, des chants serbes, une étude allemande, the King of Amasis. Courant du septentrion au midi et de l’occident à l’orient, sa muse ne fait pas moins de chemin que sa diplomatie. Aujourd’hui son recueil, formé de deux gros volumes, Chronicles and Characters, réunit dans un cadre chronologique des scènes dramatiques, des légendes, des ballades, des effusions lyriques, des poèmes philosophiques et religieux de tous les siècles. Cet ouvrage est une mesure assez juste de ce que vaut le poète et de ce que vaut son époque. C’est un petit musée où l’on peut dire que toutes les écoles du temps et tous les genres de vers contemporains ont leur échantillon. Nous avons donc pensé qu’il serait à propos de rattacher à l’étude de ce nouveau poète certaines observations générales dont l’opportunité s’éloignerait de plus en plus. Un écrivain qui possède le secret d’en rappeler tant d’autres à la mémoire rappelle aussi leurs défauts. La poésie, durant les dix dernières années, a vu le triomphe passager d’un goût qu’il faut bien appeler mauvais en dépit de ceux qui se font sceptiques en cette matière. C’est précisément de ce goût qui tombe aujourd’hui que nous voudrions entretenir le lecteur. M. Lytton, qui ne s’y est livré que par

  1. Voyez la Revue du 15 février 1856.