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tout au moins de sensitive, copier sa manière, son style irisé, ses bouffées de métaphores, ses parenthèses qui s’ébattent à droite et à gauche du chemin, et perdre l’avantage assuré à tout esprit bien fait, qui est d’avoir exprimé ce qu’il voulait dire.

Keats a trouvé plus d’imitateurs encore, et quelques-uns ont échoué en voulant le suivre et même le dépasser. Cependant il a été un maître pour les meilleurs poètes de ce temps, et, si par son caractère et la nature de son génie il n’est pas devenu le héros et l’idéal de la jeunesse, c’est lui peut-être qui a fait le plus d’initiés dans le chœur sacré. Les vers suivans de Robert Browning disent assez combien de poètes en renom sont aujourd’hui redevables à ce pauvre Keats, exécuté à vingt-quatre ans par un article de revue, et aussi comment cette imitation ressemble trop à un plagiat, à un procédé de fabrique tout simplement contrefait.


« Écoutez un récit. — Un pêcheur de Tyr, la ville antique, cherchant son butin dans la mer, amena sur le sable un plein filet.

« Qui n’a pas ouï parler de ces coquillages de Tyr contenant une couleur bleue, la couleur des couleurs, dont une goutte fait des merveilles, dont une larme donne à la soie brute de l’avide marchand la nuance des yeux de Vénus Astarté?

« C’était assez pour teindre de si belles draperies dans le palais de Salomon, que dans cette profusion de tentures célestes le roi vêtu de sa robe radieuse semblait à l’épouse l’étamine dorée qui brille au fond de la corolle bleue de la campanule, quand l’abeille enflammée s’y précipite en chantant, et s’y enivre d’amour.

« Ce ne sont que de pauvres coquilles sans utilité jusqu’au jour où des doigts habiles broient la couleur et la pressent, la clarifient, jusqu’au moment où elle est mise à l’épreuve, épurée, raffinée, sous les yeux de la foule rangée à l’écart.

« La voilà réduite en essence, mise en flacon, offerte au public et à prix fixe! Et voici que les sieurs Hobbs et Nobbs, les sieurs Stokes et Nokes entreprennent de peindre le passé et l’avenir, et s’entendent pour faire le commerce du bleu.

« Hobbs dessine en bleu et il gagne de quoi manger la tortue en potage, Nobbs imprime en bleu et il gagne de quoi vider le vin de Bordeaux à pleine coupe, Nokes et Stokes, éblouissant les yeux par l’éclat du plus bel azur, parviennent à l’opulence; mais qui a péché le merveilleux coquillage? John Keats a-t-il seulement gagné de quoi souper de légumes? »


Le bleu introuvable, voilà bien la poésie de Keats. C’est un coloris auprès duquel pâlissent même les vieux maîtres dans lesquels il l’a découvert. La nature, surtout celle de son pays, est trop terne