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rée de difficultés insurmontables, et que ceux qui la désiraient le plus désespéraient d’en voir l’accomplissement. Au vieux cri des soldats de Cromwell et de Guillaume d’Orange, aux mots magiques de no popery, l’Angleterre protestante ne se croirait-elle pas obligée d’aller secourir l’église d’Irlande? Le cri a été poussé, mais il n’a trouvé aucun écho.

Rendons justice à qui de droit. Si le parti libéral et ses chefs ont eu le mérite d’aborder enfin de front cette question, c’est l’opinion publique qui leur a tracé la voie et préparé le succès. C’est elle qui, après avoir longtemps refusé d’entendre ceux qui lui demandaient le redressement d’une grande iniquité, éclairée par ce bon sens que les peuples acquièrent dans la pratique de la liberté, a su joindre à propos sa voix à la leur. Cette voix est toute-puissante, et, loin d’exagérer ce que l’on est convenu d’appeler l’esprit de parti, la liberté le règle, le soumet à une autorité supérieure. Le tribunal de l’opinion publique, après avoir longuement entendu une cause, prononce des jugemens acceptés de tous. Elle ne supprime pas les partis, car ils lui sont aussi nécessaires que les plateaux à la balance; mais, en penchant vers l’un, elle lui donne du poids et marque à l’autre les concessions qu’il doit faire pour retrouver un jour ses faveurs.

La mesure proposée par M. Gladstone nous offre, à nous autres étrangers, un double intérêt. D’une part en effet elle soulève une question de principe des plus graves, et de l’autre elle la tranche d’une manière tout à fait nouvelle. Une grande discussion à la chambre des communes est toujours un spectacle instructif et émouvant pour ceux qui voient dans la faculté de se gouverner soi-même le premier et le plus précieux attribut d’un peuple civilisé; mais les problèmes qui occupent d’ordinaire cette assemblée essentiellement pratique, s’ils sont fort importans pour l’Angleterre, sont presque toujours pour nous difficiles à comprendre. L’année dernière, la chambre a été absorbée par la confection du bill de réforme, mesure si complexe que bien peu de gens chez nous en ont affronté l’étude, et ses travaux ont été obscurcis par la tactique des partis, réduits à se disputer sur des points de détail, sur des conditions de cens et de résidence. Au contraire, dans la discussion soulevée par M. Gladstone, la question de principe était nettement posée et dominait tout le débat. Il s’agissait de savoir si l’on maintiendrait ou non une église d’état, avec ses avantages, ses privilèges, son caractère officiel, au milieu d’une population qui la repousse énergiquement et dont elle blesse à la fois les croyances religieuses et les traditions nationales. Dans une pareille situation, la discussion ne pouvait manquer de clarté et devait bientôt s’élever jusqu’aux