Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 75.djvu/523

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mais on gâte son héros lorsque l’on en veut tout louer, et c’est surtout un mauvais moyen de forcer l’admiration que d’étaler dans un volume les côtés les plus faibles d’un personnage. Il paraît que le comité qui s’est chargé de publier en Suisse les œuvres de Vinet hésite encore à imprimer ses poésies; grâce à M. Rambert, l’expérience est faite, nous espérons qu’il n’hésitera plus. Aux yeux du grand public du moins, cette publication serait une faute.

Quelle est la valeur littéraire des poésies dont M. Rambert donne d’assez nombreux fragmens? Il y a ici deux périodes bien distinctes. M. Rambert s’appesantit trop longuement sur la première, qui est celle des vers de jeunesse, écrits pour la plupart sur les bancs mêmes de l’école. Cela ne vaut ni plus ni moins que ce que font d’ordinaire les écoliers, et nous croyons qu’il est plus respectueux pour Vinet de n’en rien citer. Point d’originalité, point de fraîcheur, une inspiration de seconde main qui s’exerce sur tel ou tel vieux motif poétique, enfin ce que Boileau nommait abondance stérile. Quant aux productions poétiques de la seconde période, elles ne serviront guère mieux la gloire de Vinet. La pensée y demeure banale, et l’auteur en revient toujours aux lieux communs de sa jeunesse; même lorsqu’il sent fortement, il ne trouve pas le mouvement qui entraîne. Gresset, Delille, Millevoye, Fontanes, étaient, paraît-il, les inspirateurs de Vinet; ses poésies ne sont qu’un écho très affaibli de faibles échos.

Il est d’ailleurs probable que Vinet lui-même ne s’est pas abusé sur le mérite de ces productions. Noter en vers au jour le jour les impressions d’une âme tendre et généreuse, ce fut pour lui d’abord un délassement, puis une habitude. Il adressait à sa femme, à ses parens, à ses amis, à ses élèves, des épîtres ou des couplets dans certaines circonstances de la vie ou à certaines époques de l’année; mais il n’attachait certainement pas à ces envois plus d’importance littéraire que nous n’en attachons aux simples épanchemens de l’amitié. Pour ses cantiques, ils rappellent ceux que composaient autrefois les missionnaires, et qu’inspiraient, sans nulle prétention poétique, les besoins du moment et le désir d’exalter par des chants la dévotion des fidèles. Reste à savoir si dans tout ceci nous trouverons sur l’homme lui-même quelque véritable clarté. Or il en coûte de le dire, mais, à ce point de vue encore, rien n’apparaît de bien frappant, et nous ne pouvons, par exemple, admettre un parallèle que M. Rambert reproduit jusqu’à quatre fois dans son livre : c’est celui de Vinet et de Pascal.

M. Rambert cherche plutôt à faire ressortir les différences qui séparent deux natures d’esprit si diverses qu’à nous montrer beaucoup de points de ressemblance et de contact; mais, parce que Vinet a pu éprouver certaines hésitations dans sa jeunesse et qu’aux derniers temps de sa vie sa piété est devenue plus absorbante et plus profonde, ce n’est pas