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paraissaient en costume national, le sabre au côté, et discutaient en latin. Il n’était pas rare, quand le débat excitait les passions, qu’on en vînt à échanger autre chose que des argumens ; mais un banquet terminait la session et apaisait les querelles. Les convives faisaient assaut d’éloquence, cette fois en langue magyare. Les vins généreux coulaient à flots ; c’étaient des fêtes chères au patriotisme et qui faisaient des débats politiques un élément de l’existence journalière. Les voyageurs étrangers qui y étaient invités parlent avec enthousiasme de ces festins où éclataient les qualités séduisantes des Hongrois, leur hospitalité, leur courtoisie, leurs manières chevaleresques et leur brillante élocution.

Au premier abord, on croirait que l’organisation des comitats hongrois ressemble beaucoup à celle des pays d’états en France ; mais l’esprit qui donnait à ces formes politiques force et vie était complètement différent. D’abord la Hongrie n’a point passé par le régime féodal. Tandis qu’ailleurs le souverain et les hauts dignitaires, ducs, comtes, marquis, transformaient ce qui n’était qu’une charge en un titre héréditaire emportant la propriété du territoire dont ils n’étaient d’abord que les administrateurs à vie, en Hongrie la dignité royale et celle de föispan conservaient le caractère de fonction, et ainsi l’unité nationale était maintenue et échappait au morcellement féodal. La souveraineté, au lieu d’être émiettée en mille parcelles aux mains des grands vassaux, continuait d’être exercée directement par les hommes libres, et trouvait dans la diète la représentation et l’organe de son unité indivisible. Pour constituer l’état moderne, il n’a donc pas fallu investir ici la royauté d’un pouvoir absolu, ni sacrifier les libertés antiques afin de briser les résistances de la féodalité. En France, par haine de l’aristocratie et de ses privilèges iniques, la classe moyenne a favorisé longtemps l’établissement graduel du despotisme, et l’égalité ne s’est établie qu’aux dépens de la liberté. Le peuple a permis à Richelieu et à Louis XIV de supprimer les états provinciaux ou de les asservir, parce que