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populations, et pour l’obtenir il n’est qu’un moyen, c’est de satisfaire les Slaves habitant le royaume à tel point qu’ils deviennent un centre d’attraction pour ceux qui ne l’habitent pas. Ici également la forme fédérative serait de rigueur, car des races si diverses ne se soumettraient pas aux règlemens uniformes d’une administration centralisée. Que la Hongrie ne prétende donc pas s’attacher les partes adnexœ, la Transylvanie et la Croatie, par un lien serré ; il aurait trop peu d’élasticité pour embrasser les provinces qu’il s’agit d’attirer. Les Magyars ne doivent pas l’oublier, le jour peut venir où, englobés dans un état en majorité slave, ils seraient les premiers à réclamer une large part d’indépendance. La prudence commande de ne jamais faire pour les autres des lois qu’on n’accepterait pas pour soi-même.

Je suis convaincu qu’il dépend des Hongrois de rendre à leur patrie les limites qu’elle a eues au temps de sa splendeur. Seulement ils ne doivent rien demander aux conquêtes de la force, ni aux violences des révolutions ; ils doivent tout attendre des lentes influences de la civilisation. Ils sont les aînés des peuples du Bas-Danube, ils ont plus d’expérience en politique, plus de discipline, plus de lumières, plus de puissance ; qu’ils ne se fassent pas de ces avantages un titre à une prééminence, qu’au contraire ils y trouvent l’obligation d’élever jusqu’à eux ceux qui sont restés en arrière. S’ils savent la comprendre, leur mission est belle et leur vaudra la reconnaissance de l’Europe. Placés entre les Slaves du sud et les Germains, il faut qu’ils servent d’intermédiaires entre ces deux branches de la famille aryenne, qu’ils tendent une main aux Allemands, l’autre aux Serbes et aux Croates, et qu’ils contribuent à faire pénétrer au-delà de la Drave et du Danube les lumières de l’Occident.

Les Magyars ont raison de chercher dans leur histoire un idéal de grandeur. Ce n’est qu’en poursuivant un grand dessein que les peuples comme les individus s’élèvent, parce que c’est ainsi seulement qu’ils cherchent à fortifier leurs bonnes qualités et à corriger leurs mauvaises ; mais les Hongrois ont tort de vouloir l’atteindre par les moyens qui ont réussi autrefois. Notre temps en réclame d’autres. Il faut qu’ils fondent un état si libre et si prospère qu’il soit à la fois glorieux et avantageux d’en faire partie. Cela leur serait facile. Pour devenir riches, ils n’ont qu’à travailler et à épargner, car ils possèdent le plus fertile territoire de l’Europe. Pour rester libres, ils n’ont qu’à se préserver des révolutions violentes. Sous ce rapport, ils ont, nous l’avons vu, des avantages que leur envient la plupart des peuples du continent. Tandis que ceux-ci ne trouvent dans leur passé que la servitude, ils y trouvent, eux, la liberté,