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l’art grec à une époque plus voisine de ses origines et dans des spécimens moins irrévocablement définis, il semble qu’il ait voulu s’en assimiler plus directement la substance et en pénétrer l’esprit d’autant mieux que les procédés étaient plus rudimentaires encore, les formes moins compliquées. Quoi de plus sage qu’un pareil calcul ? Un peintre qui voudra s’initier aux lois de l’art religieux trouvera-t-il dans la perfection des œuvres de Raphaël un résumé aussi facilement instructif, un exposé aussi clair des conditions essentielles du genre que dans les œuvres pittoresquement incomplètes des maîtres trecentisti ? Ce n’est pas, quoi qu’on en ait dit, que les peintures de Raphaël soient au fond moins chrétiennes que celles de Giotto ou de Simone Memmi, c’est plutôt que l’incomparable beauté de l’exécution voile ici jusqu’à un certain point ce qui apparaît ailleurs avec tout le relief d’une idée pure et d’un principe dégagé du fait.

Sauf la différence inhérente aux pensées et aux objets en cause, il n’en va pas autrement, dans le domaine de la sculpture antique, des traditions à interroger de préférence et des exemples à choisir. Sans parler même des marbres du Parthénon, auxquels leur aspect fruste ou leurs formes tronquées ajoutent un surcroît de vérité immatérielle, peut-être un bas-relief ou un fragment de statue des premiers temps stimulera-t-il mieux l’essor de l’imagination qu’une œuvre achevée de tous points et appartenant à une époque d’extrême civilisation ; peut-être y aura-t-il là, au point de vue de l’inspiration personnelle, des secours qu’on ne trouverait pas aussi profitables ailleurs. Faut-il pour cela se détourner des chefs-d’œuvre irréprochables ou ne leur accorder qu’une admiration proportionnée au parti pratique qu’on en peut tirer ? Nous n’avons garde de le penserai de le dire. Ce que nous voulons rappeler seulement, c’est que la perfection même de ces chefs-d’œuvre les fait figurer dans l’histoire de l’art à titre de résultats une fois acquis, de conquêtes définitives, et que, au lieu de prendre le point d’arrivée d’autrui pour son propre point de départ, un artiste fera bien de se mettre en marche sur les pas de ceux qui ont laissé quelque chose à découvrir après eux.

Thorvaldsen s’est à son meilleur moment comporté avec ce discernement et cette prudence. Esprit calme, mesuré jusque dans sa curiosité scientifique, il n’a point affiché la prétention de renouveler l’art de fond en comble, pas plus qu’il ne s’est contenté, pour imiter l’antique, de déplacer simplement l’objet de l’imitation. Comme tous ceux qui l’entouraient, il admirait et il étudiait certains exemplaires consacrés ; mais, en se réglant aussi sur d’autres modèles assez généralement négligés de son temps, il devançait le mouvement que nous voyons s’accomplir aujourd’hui vers une