Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 75.djvu/62

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

davantage sur leur choix. Les ordres qu’il avait transmis à cet égard au général Miollis avaient été précis, et furent ponctuellement exécutés. À l’exception de quelques vieillards infirmes, tout à fait incapables de supporter le voyage et qu’on avait dû laisser s’éteindre doucement en Italie, tous les cardinaux avaient été, de gré ou de force, acheminés vers Paris. Consalvi était, avec le cardinal di Pietro, celui de tous qui avait fait la plus vive résistance à ce départ. Depuis sa sortie du ministère, l’ancien secrétaire d’état de Pie VII était volontairement resté étranger aux affaires, gardant d’ailleurs une attitude pleine de calme et de dignité. L’enlèvement du pape l’avait navré de douleur. Il avait depuis ce jour mis son étude principale à ne rien faire, à ne rien dire qui pût donner à croire qu’il reconnût la légitimité du gouvernement substitué à celui du saint-père ; mais, avec sa prudence ordinaire et ce tact merveilleux dont il avait déjà donné tant de preuves, il s’était également appliqué à ne pas pousser les choses trop loin. Il lui aurait été particulièrement désagréable de répondre par une attitude trop cassante ou par des procédés discourtois aux attentions de toute sorte que lui témoignait le gouverneur-général de Rome, avec lequel il était lié par d’anciennes relations d’une très étroite amitié. Cependant, lorsque Miollis lui avait signifié, comme aux autres cardinaux, le 21 novembre 1809, l’ordre de se rendre à Paris, Consalvi avait répondu qu’il ne pouvait, en sa qualité de membre du sacre-collège quitter sa résidence sans la permission du saint-père, auquel il allait aussitôt en référer. Miollis, très affecté de ce relus, aurait bien voulu se dispenser de le transmettre à son gouvernement ; il prévoyait qu’il indisposerait inutilement l’empereur. Vingt jours plus tard, il recevait en effet l’ordre de faire partir dans les vingt-quatre heures et par la force, si c’était nécessaire, les cardinaux Consalvi et di Pietro. Une escouade de soldats français s’abattit pendant la nuit du 9 décembre dans la demeure des deux amis, et, les obligeant à monter immédiatement en voiture, les accompagna jusqu’à cinq ou six lieues hors de Rome. Tout ce qu’avait voulu Consalvi était de bien démontrer qu’il n’avait cédé qu’à la violence. Poursuivant alors sa route le plus doucement possible, Il était arrivé à Paris le 10 février 1810.

La rentrée en scène de l’habile et aimable ministre qui avait négocié, Il y avait près de dix ans, la grande affaire du concordat, ne pouvait manquer d’exciter une certaine sensation, même au milieu d’une cour alors fort distraite par les plaisirs et du public parisien, plus absorbé que jamais par le spectacle des événemens extraordinaires qui se déroulaient devant lui. Consalvi prévoyait bien que les yeux seraient naturellement fixés sur lui, et par avance il se sentait as-