Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 75.djvu/625

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lui-même et s’appliquer au plus tôt à effacer le souvenir de cette fâcheuse équipée. Il parvint pour sa part à l’oublier sans trop de peine ; mais quelqu’un s’en souvint en 1819 pour opposer, en publiant une nouvelle édition commentée de la Lettre au roi, l’apologiste de la liberté de la presse à l’intraitable défenseur de la censure.

Gentz avait appris que le zèle ne suffit pas ; qu’il faut encore l’employer à propos ; avec sa souplesse d’esprit, les ressources d’une plume merveilleusement facile et sa volonté arrêtée de plaire à tout prix, il se flattait.de réparer l’échec qu’il venait d’essuyer. Il fonda, sous le titre de Journal historique, un recueil mensuel, où il voulait suivre pas à pas la marche de la politique contemporaine et revenir sur les événemens des dix dernières années. Il se flattait d’en bien connaître l’histoire, il avait même étudié à fond quelques côtés particuliers de la révolution, par exemple les finances ; il se proposait de la raconter et de l’expliquer de manière à détruire jusqu’aux dernières traces des sympathies qu’elle pouvait avoir laissées dans les esprits. Il use à cet effet d’un procédé dont je ne crains pas de recommander l’emploi à ceux qui poursuivent aujourd’hui le même but. Au lieu de rattacher la révolution soit aux causes morales, soit à la situation sociale qui l’ont produite, mauvaise méthode, car entre mille inconvéniens elle a celui d’apaiser les esprits en les réconciliant avec ce qui est inévitable, il fait l’histoire microscopique des ambitions, des passions, des mobiles particuliers qu’elle a mis en jeu. Il n’a pas à chercher beaucoup pour découvrir que les sources de cette révolution, comme de toutes les autres, ont été la soif du pouvoir, les jalousies, les rancunes, les rivalités d’amour-propre, la manie de briller et de légiférer ; c’est une lie que, dans les temps d’agitation politique, on trouve aisément au fond des cœurs. On ne saurait croire avec quelle habileté Gentz manie l’art de rabaisser les idées en dénigrant les personnes. Ce procédé par malheur n’est pas seulement applicable aux révolutions, il l’est aux changement les plus réguliers et même à la pratique de tous les gouvernemens. Aussi lorsque, quarante ans plus tard, Gentz fera la guerre au parlementarisme, il le combattra par les mêmes moyens. « Le système représentatif sera difficile à déraciner, parce qu’il nourrit aussi bien la vanité des gouvernans que celle des écrivains. Dans des pays comme la France et l’Angleterre, où tout ce qui a une langue (maul) sait pérorer, tout ce qui a des doigts sait écrire, il est flatteur pour un Canning, un Chateaubriand, de pouvoir se dire qu’ils gouvernent en vertu de la supériorité de leurs talens ; Le système leur plaît avec tous ses vices. L’espèce d’idolâtrie dont ceux qu’on appelle les amis des ministres les entourent est une chose dont on ne se fait pas d’idée dans nos états