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l’Europe. En Russie, le despotisme est incontesté ; la révolution n’est qu’un ennemi du dehors. Au contraire l’Autriche, par les élémens hétérogènes dont elle est formée, est la plus artificielle, la plus fragile des combinaisons ; un souffle fait vaciller cette toile d’araignée d’un bout à l’autre, une mouche qui s’abat sur elle menace de la déchirer tout entière. En même temps l’Allemagne s’agite bruyamment autour d’elle ; l’élan patriotique qui lui avait mis les armes à la main et qui avait affranchi le sol s’est transformé en espérances d’une autre nature. Il faut avouer qu’il n’y avait pas le sens commun dans la plupart des doctrines par lesquelles s’annoncent à grand bruit ces espérances ; les plus folles excentricités de la révolution française sont la raison même auprès des extravagances qui font fortune alors en Allemagne. Le culte du moyen âge, mis à la mode par les romantiques, s’arrêtait pour eux aux légendes des saints, à la douce rêverie des cloîtres ; il remonte maintenant jusqu’à l’héroïsme brutal des tribus germaniques, au rêve de l’indépendance personnelle, sans règle et sans frein, des Goths et des Chérusques. De là des théories sociales où l’ivresse de la force se combine avec une mysticité ridicule, des associations où l’amour de la gymnastique et la crainte de Dieu, la haine de la France et l’idéalisme absolu inspirent des programmes politiques plus bizarres, il est vrai, qu’inquiétans.

Il eût été bien facile de reconnaître ce que ces rêveries cachaient de vœux raisonnables et de bonne volonté, de distinguer ce qui était inoffensif d’avec ce qui pouvait devenir dangereux. On ne s’en soucia point. En Prusse, on laisse par inertie plus encore que de dessein prémédité des réclamations fondées sur les promesses les plus formelles s’user peu à peu. En Autriche, on prend à cœur de les décourager d’abord, on refuse toute part dans l’affranchissement de l’Allemagne à la spontanéité du mouvement national, et par les précautions dont on s’entoure contre les suites de ce grand élan on allume de sourdes colères. En 1817, cinq cents étudians se réunissent avec des professeurs au château de Wartbourg pour célébrer le double anniversaire de la bataille de Leipzig et de la réforme ; après plusieurs discours, on fait un feu de joie avec des livres hostiles aux sociétés de gymnastique et à la jeunesse. Voilà les grandes puissances en émoi ; les souverains et les hommes, d’état poussent un cri d’alarme ; l’imminence d’une révolution en Allemagne est dénoncée publiquement par une brochure d’origine russe ; on va, on vient, on a des conciliabules, on se réunit à Aix-la-Chapelle, on se sépare en laissant deviner des résolutions mystérieuses. En 1819, Kotzebue, un prôneur et un agent de la Russie, tombe sous le poignard d’un jeune exalté. On se ras-, semble en hâte à Carlsbad, on se concerte pour supprimer en