Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 75.djvu/65

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vu ici avec le pape lors de mon couronnement, » et il passe. Le cardinal présente le troisième : « le cardinal Despuig. » — « Espagnol, répond l’empereur. — De Mayorque, sire, » ajoute le cardinal, plein de frayeur, et comme s’il voulait renier sa patrie. L’empereur, continuant sa tournée, arrive enfin à Consalvi, et avant que Fesch ne l’eût nommé : « Oh! cardinal Consalvi, comme vous êtes maigri! Je ne vous aurais pas reconnu. — Sire, les années s’accumulent. En voici dix écoulées depuis que j’ai eu l’honneur de saluer votre majesté. — C’est vrai, voilà bientôt dix ans que vous êtes venu pour le concordat, nous l’avons signé dans cette même salle; mais à quoi a-t-il servi? Tout s’en est allé en fumée. Rome a voulu tout perdre, et elle a tout perdu. Il faut l’avouer, j’ai eu tort de vous renverser du ministère. Si vous aviez continué à occuper ce poste, les choses n’auraient pas été poussées aussi loin Mémoires du cardinal Consalvi, t. II, p. 175. </ref>. » C’étaient justement là les paroles que Consalvi avait tant redouté d’entendre. Son trouble était si grand, dit-il, qu’il n’y voyait presque plus. Cependant, ne consultant que son honneur et que la vérité : « Sire, répondit le cardinal, si je fusse resté dans ce poste, j’y aurais fait mon devoir. » À ces mots. Napoléon le regarda fixement, puis, s’éloignant de lui et se promenant de droite à gauche dans le demi-cercle formé par les cinq cardinaux, il commença un long monologue, dans lequel il se mit à énumérer toute la suite de ses griefs sur la conduite du pape dans ces affaires de Rome et les dommages que Pie VII s’était causés à lui-même en refusant d’entrer dans son système. Après beaucoup d’allées et de venues, se trouvant à la fin de son discours en face du cardinal Consalvi, Napoléon s’arrêta derechef devant lui, puis répéta une seconde fois : « Non, si vous étiez resté à votre poste, les choses ne seraient pas allées aussi loin. » À cette nouvelle assertion, Consalvi, toujours animé du même sentiment, répondit encore : « Que votre majesté croie bien que j’aurais fait mon devoir! » Un regard plus sévère que le premier lui fut jeté par l’empereur, qui sans lui répondre recommença ses allées et venues, répétant toujours les mêmes plaintes sur la conduite du saint-siège, qui ne possédait plus aucun de ces grands hommes qui l’avaient jadis tant illustré; puis, s’adressant au cardinal di Pietro, placé à l’autre extrémité du cercle, et toujours sur le même ton, il dit une troisième fois : « Si le cardinal Consalvi fût resté secrétaire d’état, les choses ne seraient pas allées si loin. » Déjà l’ancien ministre de Pie VII avait à deux reprises contredit les assertions du tout-puissant souverain. Peut-être pouvait-il maintenant garder le silence. À cette répétition des