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avaient semé des embarras dans toutes les familles et mis le trésor public à découvert plus largement que de coutume. Certes il n’y avait rien de vraiment dangereux au fond des choses et la France depuis cette époque a appris qu’elle pouvait se mouvoir aisément sous des fardeaux bien autrement lourds. Le gouvernement royal avait d’ailleurs ménagé des ressources et des moyens de crédit plus que suffisans en temps normal pour remettre les affaires à flot. Le coup de foudre qui abattit le trône mit à néant toutes les probabilités.

Au 24 février 1848, le pouvoir nouveau se trouva en présence d’une dette flottante montant à 960,871,596 francs, somme alors jugée écrasante. La créance des caisses d’épargne, comprise dans ce compte pour 360 millions, était représentée presque intégralement par un titre de rentes sur l’état impossible à négocier en ces jours de désarroi général. On touchait enfin à l’échéance du coupon semestriel de la rente 5 pour 100, dont le paiement exigeait un déboursé de 72,792,720 francs. A l’actif, les valeurs de portefeuille étaient devenues irréalisables, les roulemens ordinaires du crédit et de la fiscalité étaient suspendus. On ne connaissait que l’ardent comptant. A cet égard, le trésor était assez bien pourvu, grâce au dernier emprunt, qui était en cours de versement ; l’encaisse disponible s’élevait à 135 millions, déposés en grande partie à la Banque. Toutes compensations faites, il ressort en définitive que le gouvernement provisoire arrivait aux affaires sous un fardeau de 897,696,465 francs, dette immédiatement exigible qu’une multitude de créanciers effarés venaient réclamer. Ce n’était pas le seul danger du moment. Le budget, dont on avait forcé les estimations en 1847 pour lui donner les apparences de l’équilibre, ne laissait plus voir en 1848 qu’un déficit effrayant. A la crise industrielle de l’année précédente avait succédé une paralysie complète : à défaut de travail et de salaires, il y avait partout des souffrances aigries, des besoins impérieux et menaçans. Il existait une autre nécessité très urgente dont on n’osait point parler afin de ne pas attirer les regards de ce côté : c’était l’insuffisance de la force militaire. Les gouvernemens qui se croient assurés de la paix poussent les économies sur ce chapitre beaucoup plus loin qu’on ne le soupçonne dans le public. La restauration laissa en tombant une armée détraquée. La monarchie de juillet, se croyant menacée par la sainte-alliance, improvisa à grands frais le pied de guerre. La république trouvait à son tour des cadres dégarnis et des magasins négligés. En peu de mois, elle eut un effectif de 503.000 nantîmes parfaitement pourvus ; mais elle dut faire pour cela un sacrifice exceptionnel de 80 millions.