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de bedeaux et de veilleurs de nuit. Le dernier de ces watchmen existe encore ou du moins existait il y a quelques années dans Shoreditch. Les habitans du quartier s’étaient cotisés entre eux pour perpétuer à leurs frais ce souvenir vivant. Je l’ai vu en 1863 rôder, aux heures de ténèbres, couvert de son antique costume et tenant en main sa lanterne : on eût dit un spectre historique ; mais les voleurs ne croient guère aux revenans, et je doute fort que ce bonhomme leur ait jamais fait peur. L’anachronisme était d’ailleurs trop flagrant, car au primitif watchman il fallait la lumière huileuse des anciens réverbères, et même aux beaux jours de l’institution ces lourds veilleurs de nuit, ces apoplectiques bedeaux, constituaient une force à peu près dérisoire. Les Anglais qui ont vu Londres il y a un demi-siècle racontent plus d’une tragique histoire de vol à main armée commis dans les rues sinistres et mal surveillées[1]. Il y avait en autre des constables attachés à quelques bureaux de police ou placés sous les ordres d’un magistrat de Bow-street, mais leur nombre était loin de suffire aux besoins d’une grande ville. Les voix ne manquaient point en Angleterre pour dénoncer l’impuissance d’un tel système ; ce ne fut pourtant que vers 1829 qu’on essaya de le modifier. Encore cette mesure fut-elle accueillie dans les commencemens avec une extrême défiance. « Les armées permanentes ont plus d’une fois asservi les nations, mais c’est la police qui les avilit, » avait dit au sein du parlement un des adversaires du bill. L’existence seule d’une force organisée d’après un principe d’unité, selon des règles quelque peu militaires, semblait tout d’abord un danger pour les vieilles franchises auxquelles le peuple anglais attache tant de prix. Vainement les hommes d’état qui tenaient alors le pouvoir assurèrent-ils que le système répressif ne dégénérerait jamais sur le sol de la Grande-Bretagne en une machine politique ; il fallut l’expérience de quelques années pour dissiper les craintes et réconcilier la population de Londres avec le nouveau service. On ne saurait blâmer un pays de veiller d’un œil jaloux sur le dépôt de ses libertés. Si même les promesses faites par le gouvernement ont été tenues avec fidélité, peut-être faut-il l’attribuer en partie à l’opinion publique, dont les organes n’ont cessé un moment d’épier la mise en œuvre et les progrès de l’institution. Le moderne policeman n’est après

  1. D’anciennes anecdotes courent parmi nos voisins sur le compte de Charley (tel est le surnom qu’on donnait au watchman). Il était très souvent lui-même battu et volé. Des jeunes gens lui arrachaient son manteau, son bâton, sa lanterne, et paradaient ensuite dans les rues en criant les heures. D’autres fois on retournait la guérite dans laquelle dormait le veilleur de nuit, et on l’appliquait contre un mur, laissant ainsi le captif dans une position humiliante et critique.