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Ayant affaire à des hommes naturellement astucieux, ils doivent souvent déjouer la ruse par la ruse et se couvrir d’un masque impénétrable. A quels déguisemens n’ont-ils pas recours dans certaines circonstances ! Lors de l’exposition universelle de 1862, à Londres, des vols se commettaient la nuit depuis quelques semaines dans ce qu’on appelait le département autrichien. Un detective de Scotland-Yard eut l’idée de s’envelopper d’une couverture verte comme une statue[1], et de monter ainsi la garde sur un piédestal, en face des riches étalages. Un voleur en blouse ne tarda point à se montrer, et après avoir volé une paire de bottes s’esquivait lestement. Tout à coup l’immobile statue s’anime, l’embrasse et l’arrête. Le saisissement du pauvre diable fut si profond que l’agent de police, craignant de l’avoir tué, commençait à se repentir de son stratagème. Toutefois le coupable en fut quitte pour la peur et pour un jugement devant la cour de Westminster.

Les modernes découvertes de la science et de l’industrie ont fourni de nouvelles armes à la société anglaise pour se défendre contre les malfaiteurs. On raconte que Gainsborough avait pour voisin un clergyman dont le jardin avait été dépouillé de ses fruits sans qu’on pût découvrir l’auteur du vol. Un jour d’été, l’artiste se leva de très bonne heure et pénétra dans le jardin de son ami pour croquer un vieil orme. Assis dans un coin obscur, il était à l’ouvrage, quand il aperçut un homme regardant par-dessus la haie qui bordait la route et cherchant à s’assurer de l’état des lieux. Le peintre, profitant de la circonstance, dessina la tête du maraudeur, et la ressemblance était si parfaite qu’il fut reconnu pour venir d’un village des alentours. Le crayon avait été en ce cas un agent révélateur ; mais les Gainsboroughs sont rares, et, s’il fallait compter sur eux pour éclairer la justice, plus d’un verger couronné de fruits courrait grand risque d’être outrageusement pillé. On a depuis lors d’autres moyens d’un usage plus facile et beaucoup plus répandu. Chaque homme porte en lui-même un dénonciateur, son ombre. La photographie à bon marché a fait dans ces derniers temps de tels progrès en Angleterre, qu’il n’est guère une personne riche ou pauvre dont la figure ne soit reproduite sur un verre ou sur une carte. Un crime a-t-il été commis et en soupçonne-t-on l’auteur, la police se hâte de se procurer un de ces portraits. Tiré aussitôt à un très grand nombre d’exemplaires, un tel signalement authentique se trouve placardé sur les murs et encadré dans une affiche annonçant la nature de l’infraction aux lois du pays, le caractère du fugitif et la récompense promise à

  1. On couvrait la nuit d’un voile vert les statues et quelques autres objets d’art.