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d’honnête homme, ils le déclarent très haut, vaut cent mille fois mieux que celui de malfaiteur ; pour un de ces derniers qui vit momentanément dans l’abondance, combien traînent une existence précaire, avec le cachot et peut-être le gibet en perspective ! Or, comme la considération d’intérêt est à leurs yeux la principale, je dirai même la seule à laquelle ils se montrent sensibles, beaucoup regrettent ouvertement d’avoir suivi leur vocation (calling). C’est un mauvais état, mais la grande difficulté pour eux est d’en sortir ; ils ne savent exercer aucune industrie utile, ou, s’ils ont appris dans leur jeunesse une profession, ils l’ont depuis longtemps oubliée. D’ailleurs la chaîne des vicieuses habitudes, l’oisiveté, le déclassement et, il faut bien le dire, le goût des aventures, les retiennent fatalement dans le cercle de vie qu’ils se sont tracé eux-mêmes. Je sortis de ce club emportant quelques aveux utiles à recueillir de la part d’hommes voués à une inéluctable condition ; mais je me sentais en même temps saisi d’une forte impression de tristesse. Des missionnaires protestans (City missionaries) qu’on retrouve dans presque toutes les grandes villes d’Angleterre ont aussi cherché à découvrir les idées et les manières de voir du voleur. Vivant avec les réprouvés dans certains quartiers de la métropole où tout le monde ne s’aventure point volontiers durant la nuit, ils sont plus à même que d’autres d’étudier les mœurs de cette bohème. L’expérience démontre d’ailleurs qu’avec les plus justes intentions du monde ils font en réalité très peu de bien. Plus d’un voleur de Londres a du sang de bon larron dans les veines : il n’est point du tout impossible de l’amener à quelques pratiques extérieures du culte ; mais en vaut-il mieux pour cela ? Que l’occasion se présente, et ses mauvais instincts échapperont à tout contrôle moral. Ces malfaiteurs ont toutefois de l’affection pour les hommes qui s’occupent d’eux et qui leur témoignent vraiment de l’intérêt. L’ami intime de l’un de ces missionnaires fut un soir dépouillé d’une paire de gants, et comme quelques jours après il repassait par la même rue, un inconnu l’aborda en lui disant : « Je ne savais point qui vous étiez, autrement je ne vous aurais point volé vos gants. Les voici, pardonnez-moi. »

De même que dans toutes les autres grandes villes, il existe à Londres plusieurs catégories d’hommes vivant de fraude et de pillage. Quelques-unes des facultés qui distinguent les bons ouvriers anglais se retrouvent chez ces artisans du mal. Il y a quelques années, des outils et des instrumens qui servent au vol par effraction, produits devant une cour de justice, furent jugés d’un travail si parfait que les agens de police eux-mêmes témoignèrent leur admiration. Plusieurs de ces burglars sont de très habiles artistes, et, parmi les deux ou trois cents livres d’ustensiles en fer