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d’admirateurs parmi nos voisins éclairés, et d’un autre côté la foi dans les moyens de régénération morale a été singulièrement ébranlée par l’insuccès du système de ticket of leave. Est-ce une raison pour qu’ils renoncent à réformer ceux des malfaiteurs qui ne se montrent point tout à fait incorrigibles ? Non vraiment, et la voie reste ouverte au repentir. On conçoit néanmoins qu’après un tel échec la force répressive, soit encore le plus ferme boulevard derrière lequel se réfugie pour l’instant la société britannique dans sa lutte opiniâtre contre l’armée du crime.

La police est en Angleterre ce qu’elle doit être chez un peuple libre. Ailleurs ce pouvoir occulte, ombre de l’inquisition, a plus d’une fois donné lieu à d’étranges maladies de l’esprit. Il n’est point un médecin d’aliénés qui n’ait rencontré dans les hospices du continent des malheureux se croyant persécutés, étreints et comme ensorcelés par un ennemi invisible. Au-delà du détroit, la police est au contraire de nature à rassurer ; elle n’inquiète que ceux qui ont de bonnes raisons pour la craindre. Quoique placée sous la responsabilité de l’état, elle fonctionne pour les intérêts et avec le concours de la société tout entière. Le plus souvent elle protège le faible contre le fort. Que veut cet inspecteur qui vers minuit passe dans les rues de Londres, épiant d’un regard sévère les fenêtres éclairées derrière lesquelles se dessinent des ombres de jeunes filles ? Il est chargé de veiller à l’exécution de la loi contre les maîtresses de travail abusant de leur autorité sur les ouvrières pour leur refuser le sommeil et leur imposer une tâche trop prolongée. Le caractère qui recommande surtout la police anglaise à l’admiration des étrangers est qu’elle n’a rien à voir dans les opinions, et qu’elle est étrangère aux luttes des partis. Un vieil acte du parlement autorise bien à arrêter ceux qui se livrent dans un endroit public à des propos séditieux ; mais en général l’agent de service feint de ne point entendre ces vaines paroles qu’emporte le vent. Autrement il n’y a ni suspects, ni délateurs, ni ennemis désignés et observés par l’autorité. On demandera peut-être comment il se fait qu’un gouvernement entouré de si peu de surveillance soit à même de se maintenir et passe avec raison pour très solide. C’est qu’il a su se concilier par la liberté une force bien supérieure à celle de la police et des armées, — la sympathie de l’opinion publique, contre laquelle échoue en ce moment l’une des plus menaçantes conspirations dont l’histoire ait gardé le souvenir.


ALPHONSE ESQUIROS.