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également épouvantés, il y en avait plusieurs qui, n’entendant pas le français et ne comprenant pas bien ce qu’on exigeait d’eux, ses laissaient aller à prononcer des paroles assez maladroites parce qu’elles étaient ou trop humbles ou trop compromettantes. L’habile Consalvi, toujours de sang-froid, coupa court à cette confusion en promettant que le lendemain de très bonne heure le ministre des cultes recevrait la lettre qu’il avait désirée. Quand on relit les termes de cette lettre si parfaitement convenable, d’un ton si sage, si mesuré, si modeste, on se demande avec étonnement comment elle n’a pas réussi à désarmer la colère de l’empereur[1]. Il n’en fut rien cependant. Napoléon ne se relâcha pas d’une seule des mesures de rigueur qu’il avait arrêtées dans les premiers accès de son ressentiment. Les malheureux condamnés, puisqu’il les considérait comme tels, furent obligés de se dépouiller le jour même des insignes cardinalices, et de revêtir le costume des simples ecclésiastiques, ce qui donna lieu à la dénomination de cardinaux rouges et de cardinaux noirs, par laquelle on désigna désormais les deux partis du sacré-collège. Ils furent en outre privés de leurs biens tant ecclésiastiques que patrimoniaux, qui furent mis sous le séquestre. On ne saisit pas seulement leurs revenus, on les versa au trésor, en même temps qu’on faisait mettre le scellé sur leurs meubles; de façon que, pour vivre, la plupart se virent réduits à puiser dans la bourse de leurs amis, ou bien à recourir aux subsides charitables de quelques personnes pieuses dont l’assistance ne leur fit jamais défaut, mais ne manqua point, comme nous le verrons plus tard, d’exciter derechef contre eux toute la colère de l’empereur. Quant à ce qui regardait leurs personnes, le traitement ne fut pas moins sévère. L’empereur les exila deux par deux à Reims, à Rethel, à Mé4ères, à Saint-Quentin, à Sedan, à Charleville; trois d’entre eux furent internés à Sémur. Partout ils furent placés sous la surveillance de la police. Pour ajouter au désagrément de cette dispersion, on avait pris soin de mettre ensemble ceux des cardinaux qui se convenaient le moins; chacun d’eux dut rester dans la résidence qui lui avait été ainsi assignée jusqu’au moment de la signature du concordat de Fontainebleau.

Les réflexions se pressent dans l’esprit, et l’on se sent pénible-

  1. «Dichiarano inoltre che non hanno mai voluto in animo ne di farsi guidici, ne dispargere dubbii sulla validita dello sciogliamento del primo matrimonio, ne intorno alla legitimità del secundo, ne produre incertezza circa la successione al trono dei figlii che ne nascerono. Supplicano finalmente V. M. di accettare queste loro umili e sincere dichiarazioni unite ai sentimenti di quel profundo rispetto, e di quella dovuta obbedienza e sommissione che hanno l’onore di professarle. » — Lettre signée par les treize cardinaux italiens, 6 avril 1810.