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sépulcres sont transférés dans les tours de la ville de Carcassonne.

Les derniers jours du mois d’août paraissent avoir été paisibles. La population d’Albi retourne dans ses foyers et porte aux parens des emmurés cette bonne nouvelle : ils vivent encore, on a pu leur parler, on les a vu transférer hors de terre dans une prison spacieuse et saine. À Carcassonne, une sorte de stupeur succède à l’enivrement du succès. Cependant il y a toujours au fond des cœurs beaucoup de haine, et le moindre incident peut provoquer d’autres tumultes. Bernard prêchant dans les premiers jours de septembre à Carcassonne, ses auditeurs s’enflamment de nouveau, courent au couvent des prêcheurs, dévastent le portail de leur église et en brisent les fenêtres vitrées. Évidemment l’inquisition n’est plus protégée ; elle est à la merci de Bernard, qui pourrait la supprimer, si le pape, si le roi, ne devaient un jour lui demander un compte sévère de cette suppression. Aussi tout le monde en est-il à dire que le pape et le roi feraient sagement de reparaître en scène, d’écarter leurs subalternes et de prévenir eux-mêmes les malheurs qu’on prévoit. Cette requête fut adressée d’abord au pape par le vidame d’Amiens. Il s’agit non d’une simple prière, mais d’une pièce de procédure. Quelles circonstances offrirent au vidame l’occasion de rédiger cette pièce ? C’est ce que nous avons maintenant à raconter.

Après avoir pris l’avis de ses confrères, l’inquisiteur Geoffroy a prononcé contre le vidame une sentence d’excommunication. Suivant les termes de cette sentence, Jean de Picquigny, commissaire du roi, s’est rendu coupable de deux graves délits. Il a d’abord refusé plus d’une fois au juge d’église le concours du bras séculier ; en d’autres termes, il a refusé de brûler ou de pendre les hérétiques signalés, que l’église, ayant horreur du sang, ne brûle pas, ne pend pas elle-même. Ensuite il a pris une part active aux rébellions populaires, il a pénétré dans les prisons de l’église et lui a ravi ses prisonniers. En conséquence il est retranché de la communion des fidèles et voué dès ce jour à toutes les peines qu’une telle sentence emporte avec elle. C’était le droit de l’église de faire publier en tous lieux ces solennels décrets. C’était le droit de l’excommunié d’en déférer à la cour de Rome l’examen et la révision. Le vidame fait donc rédiger son acte d’appel et se rend à Montpellier, où le réclament d’autres affaires. C’est à Bernard que l’appel arrive de Rome accompagné de tout ce qui peut le recommander.

Bernard va d’abord porter la nouvelle de l’excommunication aux consuls d’Albi, et s’entendre avec eux sur la conduite qu’il faut tenir. Son avis est qu’il convient de venir en aide au vidame par une plainte où seront dénoncés tous les méfaits des inquisiteurs, où une enquête judiciaire sera demandée par les consuls,