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cinquante. Pourquoi donc tant d’enquêtes et depuis tant d’années tant d’incarcérations, de tortures, de violences ? Ce qu’a dit frère Guillaume n’est pas d’ailleurs, il s’en faut bien, la pure vérité ; ces nombres de quarante, de cinquante, sont imaginaires. Depuis longtemps il n’y a plus un seul hérétique dans tout l’Albigeois. L’archevêque de Narbonne et l’évêque de Béziers réclament à la fois contre cette assertion. Il y a eu, disent-ils, des cas d’hérésie avoués et prouvés. Bernard reprend qu’il faut se méfier de ces prétendus aveux. Les bienheureux Pierre et Paul, traduits comme hérétiques devant le tribunal de l’inquisition, seraient eux-mêmes, à son avis, bien empêchés de se justifier. Il ne s’agit plus de justice quand l’art d’interroger est devenu l’art subtil de tendre des pièges où trébuchent à la fois l’innocence et le crime. On demande alors à Bernard de quels inquisiteurs il entend incriminer ainsi la procédure. Il nomme Jean Galand, Jean de Saint-Seine, Nicolas d’Abbeville et Foulques de Saint-George. On lui répond que plusieurs de ces inquisiteurs sont morts, que les autres sont remplacés, et que le roi d’ailleurs a corrigé selon son pouvoir les abus qu’il signale. Bernard réplique : « Écoutez, entendez les plaintes, les clameurs, et vous apprendrez si le conseil du roi, quelle que soit sa prudence, a trouvé le remède le plus propre à guérir le mal. »

Le système ne fut pas toutefois changé. En limitant les pouvoirs du juge enquêteur, en l’assujettissant au contrôle de l’évêque diocésain, Philippe est persuadé qu’il a fait tout ce qu’il pouvait faire. L’église a ses tribunaux particuliers, dont la compétence est reconnue. Des condamnations pour hérésie, l’appel se fait devant le pape, non devant le roi, et, quand il se plaint si haut des empiétemens du pape sur sa puissance, Philippe ne croit pas le moment opportun pour toucher d’une main plus dure aux libertés de l’église. En conséquence, par une ordonnance du 13 janvier 1304, il confirme toutes les prescriptions contenues dans ses lettres du 8 décembre 1301, et, quelle que soit la vivacité des dernières suppliques, il maintient l’inquisition « au profit de la foi. » C’est au pape de décider s’il convient de l’abolir. C’est encore au pape qu’il appartient de statuer en dernier ressort sur les causes jugées, et d’annuler ou d’atténuer les peines prononcées. Le roi répète dans les termes les plus acerbes que la conduite des ministres de l’inquisition a trop longtemps scandalisé les honnêtes gens : il en avertit le pape ; mais s’arrête là, réservant au pape le plein exercice de son droit. Cependant, pour qu’il ne soit pas dit que Philippe a quitté sa bonne ville de Toulouse sans offrir du moins aux prisonniers du juge d’église un témoignage de ses sympathies royales, il ordonne qu’ils soient désormais traités avec moins de rigueur.

Dans les premiers jours de février 1304, le roi s’éloigna de