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dans cette ville. De Perpignan, ils durent aller la chercher à la frontière d’Espagne, à travers les gorges des Pyrénées, à Saint-Jean-Pla-de-Cors, humble village qui ne sait plus même son histoire, quoiqu’on y retrouve les grandes ruines d’un château construit vers la fin du xiie siècle. Ce château fut autrefois un château royal, une des résidences préférées des rois de Mayorque. Suivant des routes difficiles, à peine tracées, allant tantôt à pied, tantôt à cheval, les deux voyageurs s’acheminent lentement vers les monts. Bernard est soucieux. A-t-il craint de refuser cette mission, intimidé par les menaces quotidiennes d’Élie Patrice ? Nous croyons plus volontiers qu’il a mieux aimé s’en charger lui-même que la voir confier à d’autres. Sans être un ambassadeur infidèle, il peut ne pas dissimuler au jeune prince les difficultés de l’entreprise, suggérer lui-même des objections, proposer ou accepter des atermoiemens ; en tout cas, s’il ne s’est pas tracé le détail d’un plan de conduite, il a pris le parti d’agir avec la plus grande circonspection. Étant donc arrivé près de Saint-Jean-Pla-de-Cors, il descend de cheval, et, pénétrant dans une cavité creusée par un torrent d’hiver, il y fouille le sol pour y enfouir les débris lacérés de sa lettre de créance. Cette lettre, restée aux mains de Fernand, pourrait être quelque jour une preuve accablante. Son premier soin est de la supprimer. Les deux voyageurs rendent ensuite visite au curé du bourg. Il ne faut pas qu’on se demande, en les voyant aller directement au château, quelle affaire d’état les amène. Ensuite Bernard va seul trouver le jeune prince. Il entre en matière par un discours rigoureusement conforme aux instructions qu’il a reçues. Les consuls et les conseillers de la commune de Carcassonne sont décidés à ne plus reconnaître l’autorité du roi de France, qui ne veut pas agir contre les inquisiteurs ; s’il prend donc pour sa part l’engagement de les chasser du pays, il peut venir sur-le-champ prendre possession d’une ville qui se donne à lui. Bernard supposait que cette déclaration précise serait suivie d’un colloque, il pensait qu’avant de tout promettre aux gens de Carcassonne le jeune prince voudrait au moins interroger leur ambassadeur sur les risques de l’entreprise ; mais il n’en fut rien : sans plus délibérer, Fernand accepta, et promit d’être bientôt rendu dans les murs de Carcassonne.

Jayme savait tout et surveillait son fils. Étant informé de l’arrivée de Bernard, il le fait appeler et lui demande ce qu’il est venu faire à Saint-Jean-Pla-de-Cors, Bernard répond avec embarras que le motif de son voyage n’est en rien blâmable. Le roi, sans faire aucun mystère de sa mauvaise humeur, exige de Bernard qu’il répète ce qu’il a dit à son fils, et celui-ci, confondu ou feignant de l’être, garde le silence. Le roi lui commande alors d’attendre ses