Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 75.djvu/88

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la Méditerranée baigne les côtes depuis l’isthme de Suez jusqu’aux monts Amanus et dont les limites orientales longent la vallée de l’Euphrate. Cette contrée a même été celle qui conserva peut-être le plus de vie locale au sein de l’effrayante unité de l’orbis romanus. Là se trouvaient encore des colonies et même de petits états qui n’étaient pas complètement annexés, qui conservaient cette demi-autonomie dont le régime appliqué au peuple juif sous les Hérodes peut nous donner une idée assez nette. Ces franchises étaient resserrées dans d’étroites limites, mais on était bien loin du grand centre. Plus on s’écartait des côtes, plus l’esprit oriental et le désert conspiraient ensemble contre la centralisation impériale. La politique enfin conseillait de ne pas trop contrarier des populations où les Parthes et après eux l’empire perse ressuscité pouvaient trouver de dangereuses sympathies. Sans doute Antioche même, siège du proconsul romain de Syrie, ne pouvait à aucun titre passer pour une ville indépendante ; mais elle abritait dans ses vastes murs plus d’un élément non assimilé, des Juifs par exemple, des enfans du désert, des marchands venus de la Mésopotamie, de la Palmyrène, de la Comagène, et si l’esprit grec dominait par la langue, les monumens, les arts, en un mot par toute la civilisation extérieure, il pouvait mieux qu’ailleurs servir d’organe et prêter ses formes exquises à des mouvemens de provenance originale et de tendance autonome.

Antioche, aux premiers siècles de notre ère, était une très grande ville de sept ou huit cent mille âmes et passait pour la troisième de l’empire[1]. Fondée par Séleucus Nicator sur l’emplacement d’une petite bourgade, elle échangea son nom d’Épidaphné, du au voisinage d’un beau bois de lauriers, contre celui du père de son fondateur. La ville, couronnée de verdure, descendait en triangle évasé du mont Silpius jusque sur les bords de l’Oronte. Des torrens et des cascades tombaient à travers ses massifs d’architecture. Sa vaste enceinte murée, escaladant des pentes souvent abruptes, aboutissait des deux côtés à une acropole dominant de haut le paysage. La fraîcheur des eaux, la richesse de la végétation au dedans comme au dehors des murailles, les parfums des jacinthes et des œillets sauvages, les grottes, les ravins, les précipices, toute cette puissante nature devait faire un délicieux contraste avec les merveilles accumulées par les Séleucides dans leur séjour de prédilection. C’est par là surtout que la ville était grecque. La vieille religion syriaque était oubliée ou du moins fondue dans la mythologie plus riante apportée par les compagnons d’Alexandre. Les temples et les basiliques, les théâtres et les aqueducs, les rues pavées de marbre,

  1. La seconde était Alexandrie.