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l’attitude de l’Université depuis quinze ans, elle puisse être suspecte de vouloir fermer la porte à la liberté. Elle a commis autrefois la faute de défendre le monopole, elle avait la faiblesse de croire qu’elle ne pourrait pas vivre sans lui ; mais l’événement l’a détrompée : cette loi de 1850, faite contre elle, s’est trouvée la servir ; après une crise passagère, ses lycées sont devenus plus florissans qu’autrefois[1], et comme les élèves viennent librement chez elle et pourraient aller ailleurs, elle est plus assurée, en voyant leur nombre s’accroître, qu’elle obtient la confiance des familles, et qu’elle répond à un besoin du pays. Elle sait aujourd’hui par expérience que le privilège est toujours une cause de faiblesse, et que ce qui réussit le mieux à tout le monde, c’est le régime de l’égalité. Elle fait donc les vœux les plus sincères pour le succès de M. Léopold Giraud et de ses pétitions ; elle désire avec plus d’ardeur encore que M. de Ségur-d’Aguessau et ses amis qu’on laisse se produire dans, des cours libres toutes les doctrines sociales et religieuses ; elle souhaite que les efforts de MM. les cardinaux et les évêques nous obtiennent la création d’écoles indépendantes où MM. Renan et Littré pourront enfin exposer librement leurs opinions ; elle accueillera la liberté avec transport, de quelque main qu’elle vienne. Les universités nouvelles seront les bienvenues à côté de ses facultés, aussi bien celles qui enseigneront la géologie selon la Bible et le système du monde avant Copernic que celles qui essaieront de répandre les principes de Darwin et d’Auguste Comte. Elle applaudira à leurs succès au lieu d’en être jalouse, et ne sera occupée qu’à redoubler de travail pour ne pas faire trop mauvaise figure à côté d’elles.

Il faut pourtant savoir, avant de trop se réjouir, ce que sera cette liberté dont on parle. Je ne puis pas croire, comme on l’a laissé entrevoir, qu’on se contente pour toute réforme de créer des universités ecclésiastiques à côté de celles de l’état. Ce serait étendre le privilège et non pas l’abolir, et personne ne reconnaîtrait dans ce monopole partagé la liberté qu’on nous annonce. Je suppose que ceux qui la réclament si énergiquement pour eux sont disposés à l’accorder aux autres, qu’ils veulent qu’on permette aux particuliers, réunis ou isolés, d’ouvrir des écoles supérieures de théologie, de médecine, de philosophie, en dehors de toute influence ecclésiastique ou officielle. Ils doivent naturellement s’attendre que

  1. La population des lycées, sous le régime du monopole, était de 23,000 élèves. Elle descendit à 20,000 en 1850 sous l’influence de la loi de la liberté de renseignement et de la rude concurrence qui fut faite aux collèges de l’état par les établissemens libres. En 1866, elle était de plus de 34,000, et elle a augmenté depuis. (Voyez Jourdain, p. 110 et suiv.)