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invitant à le suivre pour être divinisés avec lui en vertu du même progrès spirituel (ἐκ προκοπῆς τεθεοποῖησθαι). On voit combien tout cet ensemble de vues se rapproche de l’unitarisme moderne. On ne sait trop ce que Paul disait de la naissance miraculeuse de Jésus. S’il l’admettait, c’était une inconséquence ; du reste le débat ne paraît pas avoir porté sur ce point.

Plus Paul de Samosate devenait populaire et gagnait d’adhérens à son unitarisme rationnel, plus l’épiscopat de Palestine, d’Égypte et d’Asie-Mineure s’effrayait. La chère doctrine du Verbe personnel incarné était compromise. La personne du Christ semblait rabaissée. Un esprit de critique et d’examen, dont l’autorité épiscopale elle-même aurait un jour à souffrir, commençait à se répandre dans l’église. La piété cléricale, ascétique, en rupture chagrine avec le monde, ne comprenait rien à ce christianisme laïque cherchant à purifier le monde plutôt qu’aie détruire. Les antipathies affluaient donc de toutes parts. Cependant les docteurs illustres, les grands noms influens, faisaient pour le moment défaut à l’église. Cyprien, Origène, étaient morts ; Denys d’Alexandrie se faisait très vieux, et d’ailleurs il était lui-même quelque peu suspect. Denys de Rome était bien loin, et n’avait pas d’autorité directe en Orient. La lutte contre Paul devait donc être soutenue par des hommes d’une valeur secondaire.


III.

Ce sont en effet des noms bien peu connus que ceux des principaux évêques et presbytres qui s’acharnèrent contre Paul de Samosate. Leurs intentions furent probablement très pieuses ; mais on ne peut contester que la passion, la haine théologique, n’aient joué là un grand et triste rôle. Qui connaît aujourd’hui les noms d’Hélénus de Tarse, de Nicomas d’Iconium, de Théotecnos de Césarée, des deux frères Grégoire et Athénodore, évêques de la région du Pont ? Pourtant, au rapport d’Eusèbe, tels furent ceux qui brillèrent au premier rang des adversaires de Paul. Le vieux Denys allégua son grand âge et ne vint pas aux conciliabules qui à plusieurs reprises se tinrent à Antioche même, afin de détacher du pasteur qu’il aimait le peuple de cette ville. Il se contenta, dans une lettre aux chrétiens d’Antioche, d’exposer ses vues sur la personne de Jésus et de faire ressortir les différences qui le séparaient de Paul. Or ses vues étaient fort semblables à celles qui, une quarantaine d’années plus tard, s’appelèrent l’arianisme. Pour lui, le Christ n’était, en fait, ni vrai homme ni vrai Dieu ; c’était un Dieu créé. Denys avec l’âge était devenu pacifique et prudent à l’extrême. Depuis que ses hardiesses théologiques lui avaient valu les