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facultés d’initiative et d’expression qu’il va prochainement déployer sur le théâtre de l’enseignement public. L’action partout et toujours, c’est-à-dire la parole toujours prête, tantôt grave et même solennelle dans la chaire de faculté, tantôt étincelante de verve et d’originalité dans la discussion du doctorat, dans la conversation de salon ou de cabinet. On a dit, dans une intention peu bienveillante, que la vie de Victor Cousin n’a été qu’un rôle, et qu’il était toujours en scène, même dans son cabinet, en face de ses plus modestes élèves ou de ses plus intimes amis. C’est précisément ce qui en fait l’ouvrier par excellence de son œuvre. S’il eût été un penseur plus méditatif, un savant plus patient, il eût fait des œuvres de doctrine ou d’histoire plus suivies, plus complètes ; il eût eu une plus belle place dans les comptes-rendus des études philosophiques, tels que M. Ravaisson sait les faire. Il n’eût pas à ce point secoué les esprits et entraîné les volontés, il n’eût point propagé partout sur son passage la lumière et surtout le mouvement. Qu’eussent fait de semblable l’aimable Laromiguière, le grave Royer-Collard, le profond Maine de Biran, dans un pays où l’initiative individuelle est si rare et l’entraînement si nécessaire ? M. Ravaisson, qui n’a pas connu cette passion d’agir et de communiquer, aurait dû en mieux reconnaître les merveilleux effets chez le père de la philosophie éclectique.

Oui, c’était une « cause » que cet esprit qui ne s’est jamais reposé, et qui s’est éteint dans un dernier effort : cause d’impulsion directe, d’action forte et vive, de direction impérieuse, qui ne laissait pas toujours leur liberté d’allures, leur originalité de pensée à ceux qu’elle inspirait et qu’elle guidait. Victor Cousin était de la famille des Bossuet plutôt que de celle des Fénelon dans l’art de gouverner les esprits. Avec toutes les grâces de son esprit et toutes les séductions de sa parole, il savait entraîner et soumettre plutôt qu’attirer et retenir, oubliant ou n’ayant jamais bien compris que l’attrait, dans l’empire des esprits, est la plus grande force de direction et le plus sûr moyen de gouvernement. Fénelon en fut un exemple décisif. Quand il avait fait sentir à une âme humaine le charme de sa douce et pénétrante action, il la possédait tout entière et pour toujours. Si donc nous voulions exprimer notre pensée sur ce point, comme Jouffroy, par une formule métaphysique, nous dirions que Victor Cousin fut, dans son gouvernement des esprits, une cause motrice d’une constante et laborieuse impulsion plutôt qu’une cause finale mouvant toute chose sans sortir de son repos, par l’attrait du vrai, du beau et du bien.

Telle était l’ardeur de Victor Cousin, lorsqu’il engagea la philosophie française dans les voies de l’histoire, qu’il ne vit d’abord que des conquêtes à faire pour la science dans ce vaste champ ouvert