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philosophie française voyage avec son illustre guide d’un pays à l’autre, d’une époque à l’autre, passant des Écossais à Kant, de celui-ci à la nouvelle philosophie de l’unité, remontant avec lui à la philosophie grecque, à Platon, à Aristote, à Plotin, pour finir par Descartes et Leibniz, mais toujours avec plus de curiosité que de foi véritable.


II

Ici un nouveau mouvement va se produire dans l’histoire de la pensée française, mouvement dont Victor Cousin sera encore le puissant organe. Si une certaine discipline succède après 1830 à l’anarchie féconde créée par le premier élan d’expansion historique, cela ne tient pas uniquement, comme on l’a dit, à l’absorbante personnalité de Victor Cousin. Ce ne fut pas seulement l’Université, dont l’enseignement philosophique l’eut pour administrateur, qui sentit le besoin d’une direction dogmatique, ce fut la société française elle-même qui, sous l’influence de causes diverses, religieuses et sociales, commença de chercher dans la philosophie une règle pour sa conscience plutôt qu’une satisfaction à sa curiosité scientifique. Il est certain que la nécessité d’une doctrine bien arrêtée pour l’enseignement philosophique, dont la direction était confiée à Victor Cousin, fut pour beaucoup dans l’évolution qui remplaça la libre investigation des systèmes par la forte discipline du spiritualisme. Il n’en est pas moins vrai qu’il n’eût pas imposé cette évolution à la pensée française, si celle-ci n’y eût été préparée par des préoccupations morales et politiques. Il faut bien qu’il en soit ainsi, puisque le retour au spiritualisme se fait alors remarquer dans un monde philosophique non moins indépendant de la direction éclectique que de l’autorité religieuse. Le mouvement en ce sens s’accomplit sur toute la ligne en France. Le spiritualisme, qui devient le mot d’ordre de l’école éclectique, devient, sous la même pression des circonstances sociales, le lieu-commun du public qui s’intéresse à cet ordre de questions. Et ce phénomène apparaît bien avant la révolution de 1848, qui précipita les esprits et les âmes vers le spiritualisme religieux.

Quoi qu’il en soit, le spiritualisme est devenu la seule doctrine de l’école éclectique, non plus le spiritualisme tout psychologique des Écossais, de Maine de Biran, de Royer-Collard, de Jouffroy, mais le spiritualisme tout métaphysique des Platon, des Descartes et des Leibniz. Chose singulière, cette doctrine, qui n’avait pas même de nom dans la célèbre classification des systèmes, resta en définitive la philosophie à laquelle l’école éclectique attacha de plus en plus fortement sa destinée. Ce fut plus qu’une direction, ce fut une discipline dont le XVIIe siècle lui-même (en laissant Spinoza dans son