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plus parfait ? Dans cette immense évolution de la vie universelle, ce n’est donc pas l’inférieur qui est le vrai principe du supérieur, comme l’affirme le matérialisme, confondant la condition élémentaire de l’être avec son principe générateur, c’est au contraire le supérieur qui est le principe de l’inférieur, ainsi que le démontre le spiritualisme en se fondant sur la vraie définition de l’être, même de l’être dit matériel. Point de substances inertes dont les propriétés essentielles seraient des propriétés purement géométriques, mais des forces dont l’activité propre est spontanée et qui tendent à une fin par un mouvement continu : voilà comment le spiritualisme résout le problème du principe des choses, et explique la loi du mouvement universel de la nature vers la perfection.

Le spiritualisme pourrait s’en tenir là ; mais de même que le matérialisme dépasse les limites de l’expérience en faisant rentrer dans son explication toute espèce de phénomènes, de même le spiritualisme fait rentrer dans la sienne les phénomènes entre lesquels l’expérience accuse les différences les plus essentielles. Renversant l’ordre de la nature, il fait du supérieur le point de départ de l’inférieur, quand c’est au contraire l’inférieur qui est le point de départ du supérieur, soit dans l’évolution cosmique, soit dans le tableau des règnes comparés. Comme l’expérience lui fait défaut pour une pareille construction à priori, il imagine, ainsi que l’a fait la métaphysique orientale, toute une série décroissante d’hypostases qui s’engendrent de haut en bas, depuis la suprême perfection jusqu’à l’être le plus imparfait. Il est vrai que le spiritualisme moderne n’a jamais accepté cette hypothèse, qui comblait pourtant, d’une manière étrange sans doute, la lacune résultant de l’exagération de la doctrine spiritualiste ; mais il est tombé dans un autre excès en confondant dans l’unité de son principe les diverses propriétés des êtres, telles que l’expérience les détermine et les définit. Tandis que le matérialisme ramène toute réalité, même la pensée, à un mouvement simple de la matière, le spiritualisme ramène toute réalité, même le mouvement le plus simple, à la pensée, en sorte que, si la formule du premier est que la pensée n’est qu’un maximum du mouvement, la formule du second est que le mouvement n’est qu’un minimum de la pensée. La philosophie allemande, qui se complaît dans les identités, qui d’ailleurs aime à mêler la poésie à la métaphysique, parle souvent d’un esprit mystérieux qui est engourdi dans la pierre, qui dort dans la plante, qui rêve dans l’animal, et ne prend conscience de lui-même que dans l’homme. M. Ravaisson, tout Français qu’il est par la pensée et par la langue, se confie un peu trop à ces décevantes analogies. Égale exagération des deux côtés, égal oubli des limites dans lesquelles l’expérience enferme toute philosophie qui veut rester