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administrative ; il vient de la superposition violente de deux régimes qui s’excluent, celui de 1789 et celui de l’an VIII. La commune est humble parce qu’elle a cessé d’être forte ; elle sollicite et intrigue parce qu’elle a perdu ses droits et les ignore. Élevés à l’école des nécessiteux et des courtisans, les agens municipaux sont convaincus que leur premier devoir est d’obéir au pouvoir central. N’est-il pas légitime d’aspirer à un régime municipal plus en harmonie avec celui de l’assemblée constituante ? Le gouvernement de 1830 s’était avancé vers ce régime ; mais depuis la législation a reculé. Les communes avaient déjà perdu le choix de leur maire ; récemment bien d’autres droits leur ont été enlevés. L’action des préfets a trouvé dans la loi du 24 juillet 1867 une puissance inouïe : en cas de désaccord entre le conseil et le maire sur les questions d’intérêt local, c’est désormais le préfet qui tranche le différend comme juge souverain, de telle sorte que, grâce à cette remarquable innovation dans les procédés de la tutelle, il suffit au maire de manifester un avis contraire à celui du conseil pour que les délégués de la commune cessent d’avoir droit de décision sur les affaires communales. Les anciennes paroisses auraient eu plus de facilité pour se soustraire aux caprices d’un intendant, car elles du moins n’étaient pas enchaînées par la loi.

Cependant il y eut aussi pour les communes une déclaration des droits ; à la vérité elle ne fut point inscrite au frontispice de la constitution, comme celle des droits de l’homme et du citoyen, mais elle est tout entière dans les travaux de l’assemblée constituante. Pour la première fois fut affirmée et définie l’existence nécessaire, indestructible de la commune. « La municipalité est par rapport à l’état précisément ce que la famille est par rapport à la municipalité dont elle fait partie. Chacune a des intérêts, des droits et des moyens qui lui sont particuliers ; chacune entretient, soigne, embellit son intérieur, et pourvoit à tous ses besoins en y employant ses revenus, sans que la puissance publique puisse venir croiser cette autorité domestique, tant que celle-ci ne fait rien qui intéresse l’ordre général. » Voilà ce qui était de l’essence de la commune, selon Thouret, parlant au nom du comité de constitution ; mais il se hâtait d’ajouter qu’il existait entre la commune et les pouvoirs publics une corrélation nécessaire. « Il ne faut pas conclure de là que les municipalités soient indépendantes des pouvoirs publics ; disons qu’elles sont soumises à ces pouvoirs, mais qu’elles n’en font point partie ; disons qu’elles y sont soumises comme les individus, comme les familles privées, et qu’elles dépendent du pouvoir exécutif, soit par les corps administratifs dans ce qui est du ressort de l’administration générale, soit par les tribunaux dans tout ce qui est du ressort du pouvoir judiciaire. »