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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/710

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régiment de Sault, attestent la vérité de cette déclaration ; mais, s’il est vrai que les chefs n’ont pas donné d’ordre, il n’est pas moins vrai que les soldats, encouragés par l’exemple des Piémontais et des Irlandais, ont pris part à cette œuvre abominable. D’ailleurs leur présence seule a paralysé la défense vaudoise. On le vit bien quand les Piémontais et les irréguliers irlandais se trouvèrent seuls en face des survivans du massacre.

On n’avait pu tout détruire d’un coup. Un grand nombre de vaudois étaient restés sur les hauteurs depuis leur expulsion de la plaine et l’entrée des Français dans les vallées, errans au milieu des neiges et en communication avec leurs frères de l’autre versant. On les appelait les banditti, parce qu’un édit de Charles-Emmanuel II les avait bannis de leur pays. Ce sont ces bandits qui ont sauvé l’Israël des Alpes. Ils avaient établi leur quartier-général sur l’alpe nommée Pelaya di Geymet. Leur noyau se grossit d’abord de tous ceux qui, comme l’historien Léger, purent échapper aux égorgeurs du bas des vallées, ensuite des recrues qui leur arrivèrent du versant français. Les vieux soldats de Lesdiguières n’avaient pas fait comme leur chef, ils étaient restés huguenots, et à la première nouvelle du danger qui menaçait l’église vaudoise ils étaient accourus à son secours. On désertait les garnisons de Grenoble, de Lyon et de Valence, et l’on voit dans la correspondance de Lesdiguières que la régente de Savoie et Louis XIV font appel à la loyauté du vieux général pour qu’il empêche ces désertions[1]. Tous ces élémens, organisés par deux héros vaudois, Jahier et Janavel, tombent des hauteurs sur les hordes enrégimentées du marquis de Pianezza et sur les bachi-bouzouks irlandais, en nettoient promptement le bas des vallées, et les poursuivent jusque sur la plaine du Piémont. A la prise du bourg de San Secondo par les vaudois, huit cents Irlandais sont passés au fil de l’épée. Nous sommes bien loin de l’ancien esprit vaudois et du principe de l’inviolabilité de la vie humaine. Le désespoir a fait de ces pâtres, que nous avons vus naguère patiens jusqu’au martyre, des hommes de sang et des justiciers inexorables. Le marquis de Pianezza veut les arrêter en mettant leurs têtes à prix, et il obtient de la cour de Turin un édit qui fixe les sommes que l’on donner à pour chaque tête. C’est une liste curieuse, où l’on trouve les noms de l’état-major vaudois. La tête des deux Jahier est tarifée 600 ducats chacune, celle de Janavel 300 ducats, et celle de Léger, de l’écrivain redoutable qui remplissait l’Europe du récit des souffrances de son peuple, est mise au prix extraordinaire de 800 ducats. C’est lui en effet qui était

  1. Lettre de la duchesse de Savoie du 2 juin 1655, de Louis XIV du 4 et du 18 juillet. — Archives de Turin.