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tions du premier ministre de Prusse et la conspiration de Constantinople.

Il y avait trente-cinq ans qu’Isabelle il régnait en Espagne. Elle avait été portée dès sa naissance sur les faisceaux guerriers d’une armée libérale qui avait entouré sa frêle royauté de tout ce qu’il y avait de jeune et de vivace au-delà des Pyrénées. Maintenant il ne lui restait plus, il ne pouvait plus lui rester que le souvenir amer de tout ce qui l’avait conduite à cet irrémédiable désastre. Elle n’avait pas même attendu une signification plus impérieuse de sa destinée. Il lui avait suffi d’apprendre que les derniers défenseurs de sa cause venaient d’être battus dans une rencontre avec l’armée de l’insurrection à l’autre bout de l’Espagne, au pont d’Alcolea, sur le chemin de Cordoue. Elle se hâtait de quitter son dernier refuge de Saint-Sébastien et de passer ce fdet d’eau de la Bidas- soa qui sépare l’Espagne de la France, sans regarder derrière elle, sans songer à prolonger une défense inutile, comme si elle se sentait frappée d’une irréparable déchéance. A une petite station, première étape de l’exil, elle rencontrait les souverains de la France, qui venaient offrir un asile à son malheur. C’était une entrevue un peu différente de celle que la reine Isabelle rêvait quelques jours auparavant. L’empereur, dit-on, est resté pensif et gravement touché en voyant défiler ce convoi d’une royauté. L’impératrice n’a pas été moins émue. L’un et l’autre, à ce qu’on assure, ont gardé depuis ce moment la préoccupation la plus sérieuse, l’impression la plus vive de cette catastrophe soudaine, irrésistible, qui ressemble à un effondrement, puisqu’on s’est servi de ce mot, si vertement et si spirituellement relevé par M. Prevost-Paradol. La préoccupation de l’empereur n’a rien qui puisse étonner, rien qui ne soit d’un esprit élevé et réfléchi. C’est déjà sans nul doute une combinaison étrange de la fortune faite pour frapper l’imagination que ce spectacle de la dernière descendante des Bourbons portant une couronne ramenée en fugitive à ce château de Pau, berceau de sa famille, — de l’héritière d’une des plus vieilles maisons royales de l’Europe recevant un asile du représentant de la dynastie la plus nouvelle, d’une dynastie fille de la révolution ; mais il y a dans ces événemens quelque chose de plus grave encore, parlant plus fortement à la raison politique. Après tout, pourquoi est-elle tombée, cette royauté espagnole qui avait tout ce qu’il faut pour vivre ? Parce qu’elle s’est fait à elle-même la destinée de ces vieilles maisons qui tombent par leurs faiblesses, par leurs entraînemens, par la facilité avec laquelle elles glissent dans tous les caprices des absolutismes caducs. Ce n’est pas apparemment par un vice de libéralisme que la reine d’Espagne vient de disparaître. Et mieux encore, tous ces princes détrônés qui peuplent aujourd’hui l’Europe, qui sont une véritable tribu errante, pourquoi sont-ils tombés ? Parce qu’ils ont fermé les yeux à toutes les lumières, parce qu’ils n’ont jamais su céder quand il était temps, parce qu’ils ont voulu jusqu’au bout mettre leur sagesse et leur volonté au-dessus de la raison de tout le monde. Et où se trouve le prince qui