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l’instituer à Calcutta, en élevant le gouverneur du Bengale au rang de gouverneur-général. Francis fit aussitôt agir ses amis. Ils le recommandèrent à lord North ; mais, de son aveu, c’est aux bons offices de lord Barrington qu’il dut sa nomination. On a pu même supposer qu’en quittant les bureaux il l’avait mis dans la confidence de ses vues sur l’Inde et obtenu de lui l’assurance d’une protection éventuelle qui se réalisait une année après.

Le poste qu’on lui donnait était important et lucratif ; on parle d’un traitement de 10,000 livres sterling. L’institution, œuvre mixte du parlement, du ministère et des directeurs de la compagnie des Indes, pouvait être mal conçue ou mal organisée. Francis du moins en jugeait ainsi même avant son départ, et qui les eût connus l’un et l’autre aurait prédit à coup sûr que le nouveau gouverneur-général Warren Hastings et son nouveau conseiller ne seraient pas longtemps d’accord. Warren Hastings et Philip Francis étaient tous deux des hommes remarquables, des intelligences, peu communes ; mais l’un était fait pour le commandement, l’autre pour l’opposition. Leur association était celle d’un caractère despotique et d’un caractère intraitable. L’un était aussi impérieux que l’autre était indocile.


III

Francis s’embarqua à Portsmouth le 30 mars 1774 ; en octobre, il était rendu sur le terrain, où commença presque aussitôt une guerre civile dans l’administration. Les incidens et les détails du séjour de Francis dans l’Inde sont constatés par son propre journal et par d’autres documens, qui, extraits et rapprochés dans le récit de M. Merivale, fournissent une addition utile à l’Histoire de l’Inde de Mill et aux deux brillans Essais de Macaulay sur Clive et sur Hastings. Si nous ne craignions de sortir de notre sujet, l’occasion s’offrirait ici d’une digression intéressante. Bornons-nous à quelques traits qui achèveront de faire connaître Francis. Rigide et passionné, jaloux, soupçonneux, intolérant, austère en tout, excepté dans ses plaisirs, il s’érigea sur-le-champ en censeur inexorable des abus consacrés dans l’administration indienne ; il les dénonça sans crainte et sans pitié dans le conseil, dans la conversation, dans sa correspondance. Partout il vit, exagéra ou supposa le mal, et parut ne chercher que des ennemis. Sa sévérité, toujours capable de l’injustice et voisine de la haine, devança toutes les accusations dont la généreuse indignation de Burke devait faire retentir plus tard les voûtes de Westminster.