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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 77.djvu/47

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d’une Alexandrie colossale qui serait un jour la reine des cités de l’univers ; et si elle se fonde jamais. il ne sera que juste en effet qu’une des plus grandes rues : y porte le nom d’Ampère.

Il se plaisait en tout aux rapprochemens et aux contrastes : en partant de Vera-Cruz pour Mexico (fin de février 1852), il retenait d’avance sa place sur un bateau à vapeur qui partait pour l’Europe à jour fixe en avril, et il écrivait au Collège de France qu’il ouvrirait son cours le 10 mai pour le second semestre. L’affiche donna l’annonce, et il tint la gageure ; il était à son poste le 10 mai : le Mexique avait été parcouru et dévoré dans l’intervalle.

Au point de vue biographique, il ne faudrait pas du tout chercher dans ce récit d’Ampère un reflet de ce que j’ai dit de son espèce de veuvage intérieur et de ses agitations sensibles à ce moment. Il n’y avait pas dans cette organisation à courans mobiles un rapport étroit entre l’état de son âme et celui de son esprit : même lorsque l’une était en peine, l’autre était volontiers en gaîté. Il se dédoublait aisément.

Sa vie d’ailleurs allait bientôt changer de cours, et trouver à graviter autour d’un autre centre. L’établissement du second empire mit, on doit le dire, Ampère hors de lui ; qu’on l’en loue ou qu’on l’en blâme, il n’y a pas un autre mot pour rendre la disposition morale d’ans laquelle il entra désormais. Le séjour de la France lui était devenu comme insupportable. Il avait eu, dès son séjour à Sorrente avec Tocqueville, l’occasion de connaître une famille française opulente et distinguée qui avait, concentré son orgueil et sa tendresse sur une jeune femme aimable, amie de l’esprit et profondément atteinte dans sa santé. Ampère, dans les années suivantes, eut l’occasion de se lier davantage avec les mêmes voyageurs que l’Italie avait fixés, et quand il s’aperçut que sa conversation d’une ou deux heures chaque après-midi était un intérêt, un soulagement, peut-être un besoin pour la délicate malade, il n’y tint pas ; son imagination si voisine de son cœur s’enflamma, et il enchaîna de nouveau sa vie. L’intimité avec Tocqueville ne fut pas sans s’en ressentir. Cet ami, dont la santé continuait elle-même de s’altérer de plus en plus, appelait des sollicitudes et des soins qu’il était impossible départager à distance entre deux affections presque égales ; mais déjà cette égalité n’existait plus. Tocqueville, avec le tact qu’il portait en toutes choses, fut le premier à pressentir, puis à constater le changement, et, allant au-devant des scrupules de son ami, il s’appliqua à le tranquilliser, à le dégager. Il écrivait à Ampère le 1er janvier 1858 :


«… Je désire du fond de mon âme que vous soyez heureux, quand même ce serait loin de nous. Ceci me ramène à ce que vous me dites