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naturels, car le développement et la perfectibilité de nos sentimens est précisément l’un des traits caractéristiques de la nature humaine.

On dira que la moralité chez les sauvages n’est jamais que le résultat de l’instinct ou de l’intérêt, mais qu’ils ne connaissent pas l’idée absolue et abstraite du devoir. Il n’importe, car nous ne prétendons pas que les sauvages aient atteint à toute la moralité dont l’homme est susceptible : il nous suffit qu’il y ait en eux des germes de moralité. Après tout, la moralité des enfans, qu’est-elle autre chose d’abord qu’instinct, habitude et intérêt? Doit-on exiger plus des peuples enfans? Je veux bien que l’humanité n’ait pas commencé par l’idée du devoir : elle y est arrivée, cela suffit. Examinons donc maintenant l’idée morale chez les peuples civilisés, et voyons s’il est vrai de dire qu’elle est partout en contradiction avec elle-même.


II.

On s’étonne de trouver une si grande diversité d’opinions et de mœurs chez des peuples qui paraissent appartenir à une même espèce. On pourrait, selon nous, à bien meilleur droit, s’étonner de voir que dans une telle diversité de temps, de lieux, de circonstances, l’homme soit encore partout si semblable à lui-même. Il n’est que naturel que la différence des milieux et des conditions physiques, des circonstances historiques et géographiques, amène d’assez grandes différences dans la manière de voir des peuples; mais ce qui me paraît admirable, c’est que ces différences ne soient pas plus grandes, et que chez tant de races diverses, quelques-unes même sans communication, sans analogie, on rencontre après tout un fonds de morale essentiel à peu près partout le même, étant donné un certain état de civilisation. Les législateurs moraux des Hindous, des Chinois, des Perses, des Hébreux et des Grecs se sont tous fait une idée sensiblement pareille de la moralité humaine, et plus on étudiera la civilisation de ces divers peuples, plus on sera frappé de voir tant de similitude sous la diversité, tant de notions communes sous des contradictions apparentes.

Nous ne nous attacherons pas à démontrer que tous les peuples de l’Europe qui appartiennent à une même race, la race indo-européenne, qui ont été élevés par une même religion, ont une seule et même morale, et que les différences qui subsistent tendent à s’effacer sous l’empire croissant des lumières philosophiques; nous n’insisterons pas davantage sur ce point aujourd’hui bien démontré, que la morale païenne, la morale des Grecs et des Romains, de Platon, d’Aristote et des stoïciens, était arrivée de son côté, par