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le tyrannicide, le suicide, le duel, la torture, après avoir été longtemps des pratiques permises et même honorées, ont été condamnées par la morale. C’est ainsi que l’idée vraie de la famille s’étant répandue[1], on a vu disparaître ou se circonscrire dans certains pays la polygamie, le droit de vie et de mort des parens sur les enfans, le droit d’aînesse, etc. Par rapport à la propriété, on a vu aussi, à mesure que la société a été plus assurée, le pillage et le brigandage, autrefois privilèges des héros, devenir le refuge des malfaiteurs, et en même temps la propriété de plus en plus accessible à tous et de mieux en mieux garantie. On a vu disparaître successivement des états civilisés l’esclavage sous toutes ses formes, ainsi que les violences et les cruautés exercées contre la conscience au nom de la foi. Par rapport au droit des gens, on a vu peu à peu le droit de guerre se réduire au strict nécessaire. Le pillage, le massacre des vaincus, la réduction des prisonniers en esclavage, les armes empoisonnées et perfides, la course, etc., ont été peu à peu abandonnés et flétris, ainsi que le droit d’aubaine, le droit d’épaves et autres restes de l’état barbare. C’est ainsi que les progrès de la conscience humaine ont fait déjà et feront de plus en plus dans l’avenir disparaître ces contradictions si souvent opposées aux moralistes, et qui n’ont d’autre origine que l’ignorance.


III.

Un philosophe anglais de l’école positiviste, M. Alexander Bain, combat dans un livre récent[2] la doctrine des idées morales universelles et l’hypothèse d’une conscience absolue, règle et type des consciences individuelles; il s’attaque particulièrement sur ce point au docteur Whewell, organe de l’opinion opposée. Le docteur Whewell s’était exprimé ainsi : « Il est évident, que nous ne pouvons nous en rapporter à notre conscience individuelle comme à une dernière et suprême autorité; c’est seulement une autorité subordonnée et intermédiaire interposée entre la suprême loi et nos propres actions... La mesure morale n’est une mesure pour chaque

  1. On nous dira que nous sommes ici juge et partie, et que nous appelons l’idée vraie de la famille celle qui règne dans notre race et dans nos contrées; mais, en supposant que le débat entre la polygamie et la monogamie ne soit pas tranché, la morale n’est pas la seule science où il reste des problèmes à résoudre. Quant à nous, le problème nous paraît résolu par l’expérience, la civilisation étant généralement inférieure dans les pays polygames; il est également résolu par la raison, la monogamie étant le seul état qui donne à la femme toute sa dignité.
  2. The Emotions and the Will, by Alexander Bain, 2e édit., Londres, 1865. — M. Bain est aussi l’auteur d’un autre ouvrage remarquable : The Senses and the Intellect.