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ses revers. Elle ne devait pas être plus heureuse pendant les années suivantes. Elle allait avoir encore de beaux faits d’armes, mais rares, isolés, et sans ce résultat matériel, l’argent, qui était la première condition de son existence. Elle ne fit plus en Europe que marcher à un complet épuisement. Ses derniers succès lui vinrent d’Amérique, et elle les dut à « l’infatigable commodore Du Guay-Trouin, » comme l’appellent les Anglais, à l’illustre marin qui conservait seul toute sa confiance, et qui ne cessa, jusqu’à la fin de la guerre, de se consacrer entièrement à elle.

En 1710, un capitaine de vaisseau, M. Du Clerc, avait tenté avec quelques bâtimens une expédition infructueuse contre Rio-Janeiro. Des 1,000 hommes qu’il avait emmenés, 400 avaient été tués dans l’attaque ; lui-même, après s’être rendu, avait été massacré contre le droit des gens, et les 600 autres, faits prisonniers, étaient depuis ce temps en butte aux plus mauvais traitemens. Du Guay-Trouin, excité par le désir de les venger et la perspective du riche butin qu’on pourrait recueillir à Rio-Janeiro, la colonie alors la plus florissante du Brésil, médita de renouveler l’expédition de Du Clerc. La tentative était cependant devenue plus difficile. Le roi de Portugal en effet, pour éviter à l’avenir de pareils coups de main, avait fait augmenter les fortifications de Rio-Janeiro, et y avait envoyé 4 vaisseaux de 56 à 74 canons, 3 frégates de 40 chargées de munitions et d’artillerie, et b régimens d’élite sous le commandement de dom Gaspard d’Acosta. Ce n’était point là un obstacle capable d’arrêter Du Guay-Trouin. Il n’en mûrit son dessein qu’avec plus de soin et dans le plus grand secret. Nous allons voir, par la manière dont il forma son armement, comment s’obtenaient et se faisaient ces traités de compte à demi avec le roi pour la guerre de course.

À ces dernières années de Louis XIV, où tous les liens moraux s’étaient relâchés par suite d’une longue servilité, la corruption, pour être cachée, n’en était pas moins profonde. Ce n’était qu’avec une patience à toute épreuve, une grande dextérité et de nombreux. sacrifices que les armateurs parvenaient à servir leur pays. Le roi n’en savait rien, et y eût remédié, s’il l’eût su : mais le difficile était d’arriver jusqu’à lui. Du Guay-Trouin commença par s’ouvrir à trois anciens amis qui déjà l’avaient aidé de leur bourse, et parmi lesquels était M. de Coulange, contrôleur-général de la maison du roi ; puis il leur adjoignit trois riches négocians de Saint-Malo. Il leur fit alors un état des vaisseaux, des officiers, des troupes, des équipages, des vivres nécessaires. Cet armement, non compris les salaires payables au retour, devait monter à 1,200,000 livres. Ceci fait et convenu, M. de Coulange alla solliciter le ministre, tandis que Du