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de rallier son monde. M. de Bismarck a toujours des façons originales d’intervenir dans les débats parlementaires ; il s’y comporte en major de cuirassiers qui cherche partant l’ennemi, frappant d’estoc et de taule. Il ne s’agissait pourtant ici ni de préparer un autre Sadowa, ni de passer d’un seul bond à travers la médiocre grille du Mein pour aller dévorer l’Allemagne du sud. Non, il s’agissait plus simplement de remporter une grande victoire sur l’ancien roi de Hanovre et sur l’ancien électeur de Hesse, défaire une charge à fond contre les « maisons d’Esté et de Brabant, » contre les épouvantables « menées guelfes, » contre les deux petites cours réfugiées depuis 1866 à Hietzing et à Prague. Tranchons le mot, il s’agissait tout bonnement, pour le salut de la patrie allemande, de mettre la main sur les biens des deux princes dépossédés, et voilà pourquoi la tempête n’est pas bien sérieuse, voilà pourquoi il y a au premier coup d’œil une disproportion notoire entre le bruit qui s’est fait à Berlin et le sujet même de ces discussions. Il est trop visible qu’on n’a soulevé de si grandes questions, qu’on n’a mis en jeu tant de passions dans le parlement prussien, que pour couvrir une chose peu digne d’un gouvernement qui a beaucoup à se faire pardonner, — un simple acte de confiscation. Ni le lecteur de Hesse, que la Prusse aidait autrefois à pressurer ses sujets, ni le vieux roi de Hanovre lui-même, n’étaient faits pour exciter un souverain intérêt ; on les transforme aujourd’hui en victimes dans un moment de colère. Quoi donc ! M. de Bismarck ne se contente pas d’être l’heureux vainqueur de 1866, d’avoir absorbé en sept jours de guerre le royaume de Hanovre, l’électorat de Hesse, le duché de Nassau, la ville libre de Francfort ; il faut encore que ceux qu’il a dépouillés se tiennent pour satisfaits, qu’ils ne disent rien, sous peine de se voir poursuivis jusque dans leur fortune privée par toutes les rigueurs de la guerre ?

M. de Bismarck n’est point du tout un homme naïf. Lorsqu’au lendemain des événemens de 1866 il rendait leurs biens au roi George de Hanovre et à l’électeur de Hesse par des traités formels, il ne croyait pas sans doute avoir converti ces princes à la légitimité prussienne, il savait bien qu’il retrouverait en eux des prétendans. Il poursuivait simplement un but politique ; il comptait tranquilliser la conscience de beaucoup de Hanovriens en désintéressant matériellement leur ancien souverain, et il espérait aussi faire plaisir aux Anglais, ces protecteurs traditionnels d’un roi qui par sa naissance restait encore pair d’Angleterre. Il n’a pas obtenu tout ce qu’il se promettait ; il s’est bientôt repenti de ses largesses envers le roi George, à qui il avait assuré quelque seize millions de thalers. La chambre, qui n’avait approuvé ces libéralités qu’avec peine, et qui s’était repentie avant le ministre, la chambre était toute prêté à retirer par voie de séquestre ce qu’on avait donné par un traité diplomatique ; mais il fallait encore un motif. Le motif, il est tout