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lesquels existe un préjugé fâcheux peut-être ; mais nous réclamerons d’abord contre la protection qu’on nous demande pour les corbeaux. Sans doute ils sont insectivores, mais ils ne le sont guère qu’à certains momens de l’année et lorsqu’ils n’ont rien de mieux à faire. Nous avons vu des champs ensemencés en pois, en haricots, en vesces, ravagés par eux en peu d’heures ; ils arrachent le blé déjà levé, ils abattent les noix, dévorent les raisins ; l’hiver, pour chercher un abri, ils dégradent les couvertures des meules de telle façon que l’eau pénètre ensuite comme si ces couvertures n’existaient pas. La cresserelle et la buse sont les pires destructeurs des petits oiseaux insectivores qui nous sont tendrement recommandés. Il en est de même de la pie-grièche, du coucou, de l’émérillon, du faucon hobereau, dont on avait garni des vitrines en les qualifiant de destructeurs d’insectes. Quant au merle, au loriot et à quelques autres espèces pour lesquelles on sollicite tous nos soins, ils exercent dans les jardins de tels méfaits que nous redoutons à bon droit leur voisinage. Les appeler à notre secours, ce serait ressembler à ce jardinier de la fable dont un lièvre mangeait les choux, et qui crut sage de lancer la vénerie de son seigneur à travers carrés et plates-bandes : le lièvre fut pris ; mais le jardin fut ravagé.

M. Sclafer classe sans hésiter ces diverses espèces parmi les animaux nuisibles ; mais il va plus loin et ne fait pas grâce aux passereaux même. S’appuyant sur des observations personnelles et répétées, il les déclaré tout au moins inutiles à l’agriculture. On compte sur eux pour faire la guerre aux plus dangereux ennemis des récoltes, aux chenilles et aux hannetons : ils mangent très peu de hannetons et ne mangent point de chenilles. M. Sclafer a fait soigneusement vider un grand nombre de petits oiseaux de toute sorte ; pendant plusieurs années et dans toutes les saisons, il a examiné leur jabot à la loupe : jamais il n’y a reconnu la moindre trace de chenilles. En fait de nourriture animale, il n’y a découvert que des moucherons et parfois des lombrics. Or plusieurs écrivains estiment aujourd’hui le lombric pour un des plus précieux auxiliaires du cultivateur, « parce qu’il draine les couches du sol arable. » Sans contester cette assertion, nous dirions alors que le lombric mérite à son tour d’être protégé contre les oiseaux. Autre observation de M. Sclafer : il s’est servi d’appâts de toute sorte pour amorcer quantité de petits pièges ; jamais il n’a pris un seul oiseau lorsqu’il a amorcé ses trébuchets avec des chenilles. Enfin tous les automnes, malgré les plumails et les drapeaux, sa figueraie était envahie par une nuée de passereaux, et ceux-ci, tout en dévorant les figues, n’ont jamais donné un coup de bec aux piérides qui à deux pas de là rongeaient les choux. La poule même et le canard, volatiles omnivores s’il en fut, refusent de toucher aux chenilles. D’ailleurs, à supposer que les petits oiseaux se nourrissent exclusivement de chenilles, de hannetons, de pucerons, d’insectes nuisibles, en